Et voilà qu'au bout de ce mois torride les réticences commencent à fondre. Commentant les mesures d'amnistie, dans lesquelles il voit « un pas vers la réconciliation nationale », le communiste Santiago Carrillo confie « Si la majorité des Espagnols choisit la monarchie, nous l'accepterons » ; tandis que Felipe Gonzales, le jeune et brillant leader du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), assure que l'opposition accepte le principe de la négociation avec le gouvernement.

Certes, tout n'est pas simple. La vieille garde franquiste crie à la trahison. Mais on craint surtout la réaction de l'armée, dont les chefs ont été désignés par le défunt caudillo, qu'ils ont servi fidèlement jusqu'au bout. Cependant, le roi est très populaire chez les militaires et il les tient bien en main. Cela, l'opposition le sait et en tient compte dans ses analyses. Le problème le plus grave, est toujours celui des Basques, qui manifestent à Verguera pour obtenir immédiatement le rétablissement de leurs fueros, leurs libertés supprimées en 1876, organisent des grèves, provoquent des désordres.

Il s'agit pour le président du Conseil de relâcher progressivement la lourde pression totalitaire pour parvenir au but qu'il s'est fixé. Ce but, il le révèle, le 10 septembre, devant les caméras de la télévision : « Nous sommes sur la dernière ligne droite », il s'agit de « donner la parole au peuple » ; et il trace les grandes lignes de la réforme constitutionnelle.

Habileté

L'opposition est prise de court. Surtout, elle craint le piège. « Il n'est pas possible d'appeler le peuple à exercer sa souveraineté, alors qu'on ne lui a pas rendu le plein usage de ses libertés », déclare la Coordination démocratique, qui regroupe 14 partis, tandis que les communistes exigent comme préalables à toute consultation une amnistie totale et l'autorisation officielle de retour en Espagne de leurs deux chefs : la Pasionaria et Santiago Carrillo.

Ces revendications sont vite rentrées : il semble qu'il y ait de la grogne dans l'armée ; on s'en aperçoit au changement de vice-président du gouvernement, le général Mellado, un libéral, qui remplace, le 22 septembre 1976, le général de Santiago, et à la mise à la retraite anticipée de deux autres généraux hostiles à la réforme.

Adolfo Suarez excelle dans ces navigations périlleuses, où il se révèle un habile pilote. C'est alors qu'intervient un premier drame : le 4 octobre, le conseiller du Royaume, José-Maria de Araluce, représentant du Guipuzcoa aux Cortes, est abattu à Saint-Sébastien en même temps que son chauffeur et trois policiers. L'ETA revendique l'attentat (le 46e depuis 1968). L'ETA condamne. Dissidences dans le mouvement ?

Les Cortes se déchaînent, dénonçant la faiblesse suicidaire du gouvernement face aux terroristes, et El Alcazar, organe des anciens combattants exige l'annulation du voyage officiel du roi en France, dont il accuse les francs-maçons de « protéger les activités terroristes en Espagne ». Juan Carlos, qui a réuni, en pleine nuit, un conseil des ministres à la Zarzuela, décide qu'il ne faut pas « tomber dans le piège ». Autrement dit, le gouvernement refuse de s'engager dans l'engrenage provocation-répression qui risquerait de rendre impossible le processus de libéralisation. Décision politique d'une importance essentielle, parce que, à partir de ce moment-là, tous les Espagnols sont convaincus de la détermination du nouveau régime, un nouveau régime qui refuse volontairement d'employer la force, pari fabuleux, un an à peine après la disparition du caudillo.

Alors que le roi entreprend en Amérique latine, puis en France une vaste tournée promotionnelle pour son pays (notamment pour l'entrée de l'Espagne dans le Marché commun), se livre en Espagne la bataille pour la légalisation des partis politiques. Le 19 octobre, le gouvernement interdit le congrès du PSOE, prévu à Madrid le 4 novembre, mais qui se tiendra finalement en décembre avec la participation de tous les grands socialistes mondiaux. Il ne s'agit pas d'une reculade de A. Suarez, mais d'une stratégie habile qui consiste à canaliser, à contrôler les forces de libéralisation.

Référendum

Le roi et le chef du gouvernement vont marquer un point important avec le référendum du 15 décembre 1976. Ce texte, fort ambigu, propose la nouvelle organisation des Cortes, notamment l'élection au suffrage universel et secret des représentants du Congrès des députés, mais encore le quasi-abandon entre les mains du souverain de toute initiative de réforme constitutionnelle postérieure. La gauche fait campagne pour l'abstention, l'extrême droite demande de voter contre. En fait, il y aura moins de 25 % d'abstentions et le projet sera adopté par 95 % des votants.