Le président Assad, qui n'avait cessé depuis décembre de solliciter des États-Unis leur caution (et, indirectement, celle d'Israël) pour une intervention militaire, indispensable pour assurer le succès de son entreprise politique au Liban, l'obtient, enfin, grâce à l'insistance du roi Hussein qui plaide sa cause auprès du président Ford. Dès le 3 avril, quelque 6 000 soldats et blindés syriens volent au secours des chrétiens assiégés dans la montagne, parviennent à dégager certaines positions stratégiques et arrêtent l'offensive palestino-progressiste à la mi-avril. Mais 82 % du territoire et 75 % de la population demeurent sous le contrôle de la gauche et des Fedayin. L'armée syrienne souhaite poursuivre son action, mais Henry Kissinger, curieusement, s'y oppose en faisant valoir que l'opération ne devrait pas dépasser les limites tolérables pour les États-Unis et pour Israël. Le Premier ministre Itzhak Rabin emboîte le pas au secrétaire d'État américain en brandissant, le 14 avril, la menace d'intervention dans le cas où les Syriens atteindraient une « ligne rouge », dont il ne définit ni le tracé ni la nature.

Fausse victoire

Simultanément, le président Assad est soumis à de fortes pressions, notamment financières, de la part de l'Arabie Saoudite et d'autres pays arabes conservateurs, qui cherchent, entre autres, à empêcher Damas d'imposer sa tutelle sur le Liban. L'attitude fluctuante des États-Unis ne serait pas étrangère aux préoccupations de leurs amis arabes.

Paralysé sur le plan militaire, le président Assad a recours à une manœuvre politique destinée à séparer les progressistes libanais de leurs alliés palestiniens, en consentant à ces derniers des concessions. Mais l'accord en sept points conclu le 16 avril avec Yasser Arafat, qui comporte des clauses secrètes, n'engendre pas les résultats escomptés. Sauf un : le leader de l'OLP donne l'ordre à ses troupes de ne pas entraver par la force l'élection, le 9 mai, d'Elias Sarkis, le candidat de la droite libanaise et de la Syrie à la présidence de la République.

Cette victoire se retourne paradoxalement contre le régime baasiste et le place dans une position périlleuse. Des évolutions parallèles se produisent, en effet, au sein des deux camps antagonistes au Liban, évolutions convergentes qui les conduisent au seuil d'un accord qui ne pourrait être conclu qu'aux dépens de la Syrie. Les progressistes, consternés par la passivité des Fedayin le 9 mai, prennent conscience des limites de leurs possibilités militaires et décident de tendre la main à la droite. Ils se proposent d'être conciliants sur le chapitre des réformes intérieures à condition que leurs adversaires se joignent à eux pour obtenir l'évacuation des troupes syriennes.

Au sein du camp conservateur, un courant anti-syrien se cristallise. L'élection de Sarkis n'a pas mis fin aux combats, qui se soldent par de nouvelles défaites pour la droite sans que les Syriens aient les moyens d'intervenir en sa faveur. Sceptiques ou méfiants à l'égard de Damas, les phalangistes décident, eux aussi, d'explorer la possibilité d'un accord avec la gauche, fondé sur le départ ultérieur des forces syriennes.

Table ronde

Bechir Gemayel (fils du leader phalangiste), mandaté par son parti, multiplie les contacts secrets avec Kamal Joumblatt avant de déclarer, le 26 mai, que « 80 % du programme de la gauche » sont conformes aux objectifs phalangistes. Il se prononce, en particulier, en faveur de l'élection d'une chambre basse à la proportionnelle, qui constitue la principale revendication des progressistes. Il ne reste plus qu'à définir les modalités d'une table ronde, qui se serait probablement tenue à Paris, quand des colonnes blindées syriennes font leur entrée au Liban, le 31 mai. Damas aurait obtenu, une semaine auparavant, la caution des États-Unis après avoir informé Washington que le mandat des casques bleus de l'ONU, qui venait à expiration précisément le 31 mai, serait renouvelé inconditionnellement pour une nouvelle période de six mois. Le président Assad a, en outre, donné des assurances (que Washington a transmises à Israël) que l'intervention syrienne ne mettrait pas en péril la sécurité de l'État juif.