Cependant, le président Assad n'a d'autre choix, durant les premiers mois de la guerre civile libanaise, que de se tenir aux côtés des palestino-progressistes, auxquels il fournit discrètement armement et soutien logistique. La Syrie, en effet, redoute une victoire du camp conservateur qui aggraverait l'isolement dans lequel la diplomatie égypto-américaine l'a placée.

Il était clair, dès le printemps de 1975, qu'Henry Kissinger ne parviendrait pas à convaincre les Israéliens de restituer à Damas une partie importante du Golan, que le président Sadate n'hésiterait pas à abandonner son allié syrien à son sort. L'accord sur le Sinaï, conclu le 1er septembre, confirme les appréhensions des dirigeants baasistes, qui redoutent le pire. Tandis que les accrochages se multiplient sur le Golan, l'Irak concentre des troupes sur la frontière syrienne et l'Égypte retire de Damas ses escadrilles de l'armée de l'air.

Arbitrage

L'accession au pouvoir à Beyrouth d'une faction chrétienne ultranationaliste, hostile à la Syrie, aurait achevé de mettre cette dernière dans une situation critique. Le président Assad s'applique dès lors non pas à favoriser le triomphe de la gauche, mais à entretenir un équilibre qui lui permet de jouer aux arbitres et, partant, de renforcer son influence au Liban.

Sa manœuvre réussit, puisque l'ambassadeur des États-Unis à Damas lui remet, le 16 octobre, une note de son gouvernement l'invitant à faire prévaloir au Liban une solution « équilibrée ». L'échec de la mission de conciliation entreprise par l'ancien Premier ministre français, Maurice Couve de Murville, du 19 novembre au 2 décembre, ouvre la voie à la deuxième phase de la médiation syrienne, qui devait, cette fois, sauver le camp conservateur de la déroute.

Le 6 décembre, le président Assad reçoit Pierre Gemayel, qui a droit à un accueil digne d'un chef d'État. Le jour même, surnommé le samedi noir, les partisans du leader phalangiste, pour venger la mort de quatre des leurs, exécutent sommairement plus de deux cents musulmans interceptés au hasard dans les rues de Beyrouth. Fin décembre, les conservateurs déclenchent ce qu'ils nomment la guerre de libération nationale contre les Palestiniens. Les miliciens de droite imposent, dès le 3 janvier, le siège de plusieurs camps de réfugiés palestiniens, occupent celui de Dbaye le 14, détruisent les bidonvilles de la Quarantaine et massacrent nombre de leurs habitants le 20 janvier.

Les forces pro-syriennes, en particulier l'organisation Saïka, qui étaient alliées au front progressiste, laissent faire les conservateurs et, dans certains cas, s'opposent, les armes à la main, à la contre-offensive déclenchée au lendemain du samedi noir par la gauche, soutenue par les Fedayin fidèles à Yasser Arafat. Ces derniers enregistrent, malgré tout, quelques succès en occupant, à la mi-décembre, le quartier des grands hôtels et, le 21 janvier, la ville de Damour, non sans commettre d'ailleurs, eux aussi, des atrocités.

Complot

Le lendemain, la Syrie, grâce à des forces qu'elle avait introduites subrepticement le 20 janvier, impose un cessez-le-feu. Par la même occasion, elle interrompt toute livraison d'armes aux Palestiniens et aux progressistes et instaure un strict blocus terrestre et maritime. Seul le port de Jounich, devenu la capitale du réduit chrétien, est libre de recevoir des cargaisons d'armement. Le 29 janvier, le département d'État, dans un communiqué, déclare que les États-Unis reconnaissent le rôle constructif de la Syrie au Liban.

Les palestino-progressistes sont persuades qu'ils sont les victimes d'un complot syro-américain destiné à les neutraliser. En échange de ce service rendu à la stratégie d'Henry Kissinger, Washington reconnaîtrait à Damas un rôle prééminent sur un ensemble comprenant, outre la Syrie, le Liban, la Jordanie et le futur mini-État palestinien, qui serait édifié en Cisjordanie, dans le cadre d'un règlement général avec Israël, qui se serait engagé à ne pas contrer l'intervention syrienne au Liban.

Ce complot leur paraît encore plus évident quand, le 14 février, le président libanais. Soliman Frangié, diffuse une « charte constitutionnelle » en dix-sept points qu'il avait élaborée en collaboration avec le président Assad sans consulter au préalable la gauche. Le document consacre, dans son premier article, la répartition confessionnelle des hautes charges de l'État.

Coup d'État

Dans un protocole annexe, non publié, la Syrie s'engage à garantir la mise en vigueur d'une série de mesures destinées à réglementer et restreindre les activités des Fedayin au Liban. Palestiniens et progressistes, contraints, font mine d'accepter le fait accompli, tout en se livrant à une série de manœuvres pour renverser la situation en leur faveur. Ils s'appliquent tout d'abord à faire éclater l'armée libanaise (la dernière force organisée de l'État) en encourageant les désertions et les mutineries. Le Fath (principale organisation de l'OLP) favorise le coup d'État du général Ahdab, le 11 mars, avant de susciter une attaque contre le palais présidentiel pour déposer le président Frangié, lequel se réfugie, le 26 mars, en pays chrétien, près de Jounich. Simultanément, les forces palestino-progressistes déclenchent une offensive de grande envergure dans la montagne chrétienne, où elles parviennent à occuper de nombreuses localités. Fin mars, la Syrie et ses alliés conservateurs sont en pleine déconfiture et risquent un désastre politico-militaire.