L'annonce de ce drame frappe d'autant plus l'opinion qu'au moment où la presse en rend compte se déroulent à Kigali, capitale du Rwanda, les travaux de la sixième conférence franco-africaine auxquels participe le président Giscard d'Estaing. Les démentis formulés par l'empereur, avec lequel le chef de l'État français et ses représentants évitent tout contact direct, sont d'une telle extravagance qu'ils accréditent le bien-fondé des accusations d'Amnesty International et que déjà la presse internationale parle de « massacre des écoliers ». Les faits sont d'ailleurs confirmés le 22 mai par le général Sylvestre Bangui, ambassadeur centrafricain à Paris, qui démissionne et annonce la création d'un Front de libération des Oubanguiens dont il prend la tête.

Malgré leur attachement apparemment indéfectible au principe de la non-ingérence dans les affaires internes de leurs voisins, les chefs d'État présents à Kigali décident la création d'une commission d'enquête composée de juristes et de magistrats de la Côte-d'Ivoire, du Togo, du Rwanda, du Sénégal et du Libéria, qui se rendra à Bangui. Avant même d'attendre le départ des membres de cette commission, Paris décide la suspension immédiate de son aide militaire à l'empereur Bokassa Ier.

Cependant, l'aide économique et financière française, qui représente la moitié du budget impérial, est maintenue. Et devant les protestations qui se multiplient dans la presse française et dans les rangs des états-majors des partis politiques, de la majorité comme de l'opposition, Jean-François Poncet, ministre des Affaires étrangères, déclare : « De tels faits, s'ils étaient établis, ne peuvent que soulever l'indignation non seulement en France mais en Afrique même... Lorsque la lumière sera faite, en toute objectivité, la France, respectueuse de la souveraineté de tous les États, usera de l'influence dont elle dispose, avec efficacité et discrétion, pour faire respecter les Droits de l'homme. »

Massacres et pillages

Déjà, le déroulement d'importantes manifestations de rues à Bangui les 19 et 20 janvier 1979, un attentat contre S. M. Bokassa Ier en avril témoignent des mécontentements accumulés en treize années de pouvoir. Et, avant même « le massacre des écoliers », le monde extérieur a pu prendre conscience des menaces qui pèsent sur la pérennité de l'institution impériale.

À l'origine des désordres de Bangui : le refus des étudiants et des lycéens de porter l'uniforme que les autorités voulaient leur imposer. La population des quartiers périphériques de la capitale s'étant jointe aux manifestants pour contester le régime, plusieurs dizaines de personnes sont tuées. Des scènes de pillage et d'émeute provoquent l'intervention de l'armée (mais pas celle de soldats zaïrois comme on l'avait cru tout d'abord).

Aussitôt l'ordre rétabli, l'empereur dégage sa responsabilité personnelle du mécontentement populaire. Il met en cause son gouvernement, et notamment son Premier ministre Henri Maïdou, qui se trouvait en France au moment des événements.

Il existe un malaise politique, économique et social profond dont témoignent à la fois les désordres, puis les massacres de Bangui. Les dépenses somptuaires de l'État, l'absence de directives économiques ont acculé le pays à la banqueroute. D'importants retards sont constatés chaque mois dans le paiement des fonctionnaires. Les subventions d'équilibre régulièrement accordées par la France servent souvent à faire face aux engagements financiers.

Anarchie économique

Une certaine anarchie s'installe dans le domaine économique : l'exploitation du diamant est en perte de vitesse ; les exportations légales sont tombées de 500 000 carats en 1960 à 300 000 carats ; les plantations de café et de coton sont en partie à l'abandon dans certaines régions du pays, et, là encore, les exportations régressent. Seule l'exploitation forestière connaît un certain essor.

Toutes ces difficultés accroissent les divisions sociales. L'empereur, installé à Berengo, son village natal, est de plus en plus isolé de la population. Des différends surgissent au sein même de sa famille : son fils, le prince Georges, est expulsé à la suite de divers démêlés avec son père.