C'est d'ailleurs pour cette raison que la situation des grands chantiers français n'est pas inquiétante dans l'immédiat ; ils ont en commande trois années de travail. Les livraisons de notre construction navale ont atteint en 1971 le chiffre record de 1,09 million de tjb (40 % de plus qu'en 1970). Mais dans les chantiers moyens et petits, le proche avenir est plus sombre ; on ne peut écarter l'éventualité de licenciements ou de mises en chômage au début de 1973. Et, pour tous les constructeurs européens, les perspectives à moyen terme n'ont rien de réjouissant.

De nouveaux besoins

La concurrence japonaise s'affirme et se généralise ; après s'être cantonnée surtout dans le secteur des pétroliers, elle déborde maintenant sur un créneau où Français et Norvégiens s'étaient fait une spécialité : les transporteurs de gaz ; les besoins, pour ce type d'énergie, augmentant considérablement, les Japonais n'entendent pas acheter ces navires à l'étranger. Aux États-Unis, on tient exactement le même raisonnement : ce pays, qui n'occupe que le douzième rang dans la construction navale mondiale, va devoir satisfaire une demande en accroissement constant de pétrole et de gaz naturel. À coups de subventions, le gouvernement américain est décidé à relancer la construction de pétroliers et de transporteurs de gaz dans les chantiers nationaux.

Bref, il n'y a plus de riposte nationale possible, estiment les Européens ; chez les Dix, armateurs et constructeurs songent à l'élaboration d'une politique maritime commune. Les vieux antagonismes s'effacent : les Britanniques acceptent la discussion, et les constructeurs norvégiens pressent leurs compatriotes de répondre oui au référendum sur le rattachement au Marché commun.

Électricité-électronique

Nouveaux rapprochements

Trois faits principaux qui annoncent des reclassements — financiers ou industriels, nationaux ou internationaux — dans les grosses entreprises françaises de la construction électrique et électronique ont marqué la période 1971-72.

Il s'agit tout d'abord de Thomson-Brandt. Larvée depuis plusieurs mois, la crise dans la direction du groupe (chiffre d'affaires : 7 milliards de francs ; 90 000 salariés) a éclaté au grand jour en janvier 1972. Roger Schulz, qui représentait au sein du conseil d'administration dont il était le vice-président les intérêts importants de la Banque de Paris et des Pays-Bas, était en désaccord avec Paul Richard (patron de l'ensemble du groupe) sur l'orientation à donner à certaines fabrications coûteuses (composants, ordinateurs, etc.) et sur l'éventualité d'un rapprochement avec la Compagnie générale d'électricité (CGE).

Deuxième événement : Électricité de France a commandé, le 15 octobre 1971, pour la seconde fois consécutive, deux centrales nucléaires à eau pressurisée à Creusot-Loire (groupe Schneider), licencié du groupe américain Westinghouse. Ces deux usines (l'ordre pour l'une est ferme, pour l'autre il est sous option), de puissance unitaire de 430 000 kilowatts, seront mises en service en avril 1976 et en novembre 1977 dans la région du Bugey (Ain). L'annonce de cette commande a dérouté les observateurs ; ils attendaient qu'elle échût à la Compagnie générale d'électricité (licenciée du groupe américain General Electric). En dehors de son choix pour la société la moins disante, EDF a voulu s'octroyer un délai de réflexion pour « prendre complètement la mesure des conditions dans lesquelles se présente aujourd'hui la diversification » des filières de centrales nucléaires. De surcroît, l'entreprise nationale a voulu ainsi engager la CGE — dont l'expérience en matière nucléaire est faible — à étudier la possibilité d'un rapprochement avec une autre firme qui pourrait l'épauler.

Jeumont-Schneider

Enfin, troisième événement : le nouveau rebondissement de l'affaire Jeumont-Schneider (Journal de l'année 1969-70 et 1970-71).

On croyait bien à son dénouement, lorsque fut annoncé en janvier un rapprochement de la firme dont le baron belge Edouard-Jean Empain possède 61 %du capital et de la Compagnie électromécanique (CEM) associée en l'occurrence au groupe suisse Brown-Boveri (BBC) dont elle dépend. Le 8 mai, E.-J. Empain remettait en cause les bases de ce projet d'accord car « les conditions exigées par Brown-Boveri équivalaient à faire passer Jeumont-Schneider sous le contrôle absolu de ce groupe suisse ».