Le président Sadate réagit en alternant coups de poing sur la table et déclarations lénifiantes. Il condamne violemment, le 11 avril 1980, l'annexion de Jérusalem-Est par Israël et les implantations juives en Cisjordanie. Il menace d'adhérer aux projets européens de solution du conflit moyen-oriental, favorables à l'autodétermination palestinienne, et rompt en mai les négociations avec M. Begin. Fin mai, changement de ton : le raïs rejette les propositions européennes et assure que les négociations sur l'autonomie de la Cisjordanie reprendraient au moment opportun.

Le président Sadate sait en fait qu'il doit patienter. Jusqu'en 1982, où l'Égypte aura récupéré l'intégralité de son territoire. Date aussi où le pays aura amorcé son démarrage économique et où le potentiel militaire égyptien aura été reconstitué — et renforcé — par Washington. Mais le chef de l'État doit tenir jusqu'à l'échéance, face aux coups de boutoir conjugués de ses ennemis intérieurs et extérieurs, qui font feu de tout bois.

Faisant écho à l'OLP et aux pays arabes du Front de la fermeté, l'extrême droite intégriste, qui a le vent en poupe depuis la révolution islamique iranienne, la gauche, les opposants en exil et même l'opposition légale reprochent unanimement au président Sadate la paix séparée avec Israël, son alliance avec l'impérialisme américain, l'accueil réservé au chah d'Iran et l'autoritarisme croissant du régime. Les contestataires relèvent qu'un projet de « loi contre l'immoralité », voté le 29 avril 1980, confère au gouvernement le droit de réduire au silence toute voix discordante. Ils stigmatisent le cumul par le raïs, depuis le 14 mai, de ses fonctions présidentielles et de celles de Premier ministre. L'opposition condamne enfin l'amendement constitutionnel adopté par référendum le 22 mai 1980, qui doit permettre à Anouar el-Sadate de briguer un 3e mandat présidentiel.

Le bâton et la carotte

Le Rassemblement national progressiste unioniste (RNPU) et même le Parti socialiste du travail (droite réformiste), dont le chef de l'État avait pourtant suscité la formation en 1977, ne manquent pas de critiquer dans leurs journaux les orientations du pouvoir. Dirigé par le général Saadeddine Chazli, chef d'état-major de l'armée pendant la guerre d'octobre 1973, un Front national égyptien, qui rassemble les opposants à l'étranger, a été constitué le 2 avril 1980, avec l'appui de l'OLP, de la Syrie et de l'Algérie. Ce Front appelle au renversement du président Sadate « par des moyens démocratiques ou par la violence ».

Mais c'est surtout la contestation des extrémistes religieux, dont certains sont soutenus par la Libye, qui inquiète les autorités. À Assiout (600 km au sud du Caire), les intégristes attaquent le 28 mars les forces de l'ordre, à coups de cocktail Molotov. Les chrétiens coptes, qui sont au nombre de 5 millions, constituent une cible de choix pour les fanatiques. Depuis janvier 1980, les attaques contre les coptes se multiplient dans les facultés des lettres et de médecine du Caire, à Alexandrie et en Haute-Égypte, notamment à Minieh. Bilan de ces attentats : 6 églises incendiées et 5 coptes tués, dont 1 prêtre. La décision du pape copte Chenouda III de célébrer Pâques sans faste pour protester contre l'insécurité, et les manifestations des coptes américains, lors du voyage du chef de l'État égyptien aux États-Unis en mai 1980, suscitent la colère du président Sadate. Il prend violemment à partie le 14 mai les dirigeants religieux coptes et interdit cinq jours plus tard les activités des organisations chrétiennes à l'université.

Avec les organisations intégristes et progressistes, le raïs manie alternativement le bâton et la carotte. Dans le but de se concilier la tendance modérée de l'Association des Frères musulmans, le chef de l'État tend la main, le 21 août 1979, à un de ses leaders, Me Omar Telemsani. Le gouvernement décide en janvier 1980 la construction de 1 000 mosquées et fait retirer de l'affiche le film Jésus de Nazareth, qui provoque l'ire des fanatiques musulmans. Le droit islamique devient, le 30 avril, la « source principale » de la législation égyptienne. Il est vrai que, trois mois plus tôt, les forces de l'ordre avaient démantelé le groupuscule extrémiste Jihad (guerre sainte), dont le chef Ali al-Maghrebi avait été mortellement blessé.