L'ETA enlève, le 11 novembre, le député centriste Javier Ruperez, un proche de Suarez (il sera mystérieusement relâché un mois plus tard). Des explosions ont également provoqué des dégâts matériels, notamment dans des entreprises françaises installées au Pays basque. Les séparatistes entendent ainsi protester contre « la répression en Euzkadi nord » et le soutien accordé par le gouvernement de Paris à celui de Madrid.

Des mesures antiterroristes ont été prises. Des membres du GRAPO, des militants de l'ETA ont été arrêtés. En vain.

Cette persistance de la violence enlève beaucoup de crédibilité à la politique suivie par le président du Conseil espagnol, qui est de plus en plus critiqué. La contestation la plus grave vient de l'armée, dont le commandement réagit pour la première fois. « Il n'y a pas de doute que l'Espagne est malade », constate le 19 septembre le général Montera, chef d'état-major de l'armée de terre, ajoutant : « L'Espagne est soumise à des traitements qui ne donnent pas le résultat satisfaisant que nous souhaitons. » Et il avertit ses troupes : « Restez immunisés contre toute tentative de dissolution venue de l'extérieur, en prévision du moment — auquel je ne crois pas — où la patrie devra recourir à nous autres pour préserver son essence. »

Le général Milans del Bosch, lieutenant général de la région de Valence, affirme le 23 septembre : « Dans l'armée, nous avons observé la transition en position d'attente et avec sérénité, mais aussi avec une profonde préoccupation. » Puis, après avoir dénoncé l'« irresponsabilité » et la « couardise » qui, selon lui, règnent en Espagne, il précise qu'une intervention de l'armée pourrait se justifier « quand il sera devenu évident que les lois, l'action judiciaire et policière sont insuffisantes ou quand — conformément à la mission que nous assigne la Constitution — il sera nécessaire de garantir la souveraineté de notre patrie. »

Faillites

Il n'est guère étonnant que, dans ces circonstances oppressantes, des journaux aient évoqué les préparatifs d'un coup d'État militaire.

Ces commentaires de presse sont jugés « alarmistes » par le pouvoir, qui entreprend maladroitement des poursuites judiciaires contre des journalistes. La condamnation à trois mois de prison du directeur de El Pais est dénoncée par la gauche comme « un attentat contre la liberté d'expression ».

La situation économique ne contribue guère à apaiser les esprits. Si l'inflation (16 %) n'a pas dépassé le taux de l'année précédente, si les investissements continuent à affluer, si les réserves de devises ont augmenté de 3 milliards de dollars par rapport à 1978 — grâce aux recettes du tourisme (près de 6 milliards) et en dépit de la chute des visiteurs (– 16 %), effrayés par la guerre des vacances —, l'augmentation du PNB a été inférieure à 2 %. L'industrie des biens d'équipement ne fonctionne qu'à 75 % de sa capacité, la construction navale à 55 % seulement ; des secteurs comme les charbonnages, la sidérurgie, l'automobile ont enregistré, en 1979, des pertes deux fois supérieures à celles de 1978. Des petites et moyennes entreprises ont été conduites à la faillite ou à la cessation de paiement.

Marasme

Les responsables espagnols misent beaucoup sur l'entrée de leur pays dans le Marché commun. Adolfo Suarez a entrepris à cet effet une tournée dans les capitales européennes, notamment à Paris (novembre 1979). Mais les obstacles du secteur agricole, les aménagements de la fiscalité espagnole et les échéances électorales dans plusieurs pays rendent hasardeux tout pronostic sur une adhésion prochaine de l'Espagne.

Le ministre de l'Économie, Jose-Luis Leal, prévoit pour 1980 une croissance « proche de zéro », tandis qu'Abril Martorell, vice-président du gouvernement, chargé des affaires économiques, estime la situation « dramatique ».

Ce marasme se traduit par une aggravation du chômage. Il y avait près de 2 millions de chômeurs à la fin de 1979 et, au cours du seul mois de janvier 1980, 33 000 personnes ont perdu leur emploi. On estime à 250 000 le nombre de chômeurs supplémentaires en 1980.