Le 29 décembre a lieu une mystérieuse « restructuration » de la junte, selon (disent les officiers mutins de 1974) « les principes du marxisme-léninisme ». L'opération, dont le sens n'a jamais été clairement perçu ni expliqué, ne satisfait pas tous les membres du gouvernement militaire, puisque, le 3 février 1977, a lieu une nouvelle tentative de coup d'État. Le général Teferi Bante, chef d'État, réputé modéré (tout est relatif) est tué par ses pairs. Le lieutenant-colonel Mengistu Haïlé Mariam, seul pilote à bord, recourt au vocabulaire révolutionnaire, de façon à justifier de nouvelles alliances avec Moscou et les pays de l'Est. En même temps qu'il parle de « mobilisation intérieure » et crée des comités révolutionnaires et des milices populaires, il élimine inexorablement tous ceux qui lui semblent pouvoir, un jour, lui porter éventuellement ombrage. « Combattez la terreur par la terreur », proclame-t-il, justifiant ainsi tous les excès, dès son accession au pouvoir, aussitôt après le meurtre de Teferi Benti.

Massacres

Les survivants de l'ancien régime qui n'ont pas pu trouver refuge à l'étranger sont systématiquement éliminés. Le 31 janvier, la princesse Ejiga-Yehu, petite-fille du défunt empereur, meurt mystérieusement à l'hôpital. Les opposants, de toutes tendances, sont arrêtés, détenus arbitrairement, exécutés sommairement, massacrés collectivement comme au début du mois de mai, lorsque plusieurs centaines d'étudiants contestataires sont assassinés à l'arme automatique.

En août, un parti communiste éthiopien (PCE), pro-chinois, est créé ; ses dirigeants, traqués, sont contraints à une clandestinité immédiate. Le 1er octobre, Fikre Merid, conseiller de la junte, est assassiné dans une rue de la capitale. Le lendemain, 23 « anarchistes et réactionnaires » sont passés par les armes. Le 8 novembre, Guetenew Zemde, secrétaire permanent du ministère du Travail, est assassiné à son tour. Dix jours plus tard, 27 « anarchistes » tombent sous les balles de pelotons d'exécution. En mars, la junte répond à une vague de fusillades, et 128 « contre-révolutionnaires » sont éliminés par les milices populaires.

Cours martiales

Le Dr Tesfaye Denessai, leader du parti éthiopien révolutionnaire du peuple (PERP), mouvement d'extrême gauche, se suicide le 24 mars pour échapper à la police. Le 13 mai, on apprend que 268 « contre-révolutionnaires » ont été abattus en une semaine. Dans la région de Gondar, ce sont 971 « contre-révolutionnaires », dont les autorités annoncent, en mai, la mise à mort. Pour l'exemple, les cours martiales envoient des dizaines de personnes au poteau, notamment durant le printemps : 6 exécutions ont lieu le 2 avril, 11 exécutions de « contre-révolutionnaires » sont annoncées le 27 avril, etc.

Enfin en Érythrée, où la guerre fait plus de victimes que jamais, l'armée éthiopienne est exaspérée par la résistance des nationalistes et multiplie les exactions. Seules les divisions du mouvement de libération, en trois tendances antagonistes, retardent l'indépendance de l'ancienne colonie italienne. Des rivalités de personnes entre Ousmane Saleh Sabbe, Essayas et Nasser, des controverses entre chrétiens et musulmans ainsi qu'entre progressistes et modérés amoindrissent la combativité des forces des mouvements de libération nationale. Cependant ceux-ci ne cessent de progresser sur le terrain, contraignant les Éthiopiens à la défensive. En janvier, les dépôts de pétrole de Massawa flambent, puis en avril ce sont ceux d'Assab. Les nationalistes, qui contrôlent les neuf dixièmes du territoire érythréen, n'hésitent plus à attaquer les dernières villes qu'ils encerclent encore et où les garnisons éthiopiennes sont exclusivement ravitaillées par avion.

Partout, l'ancien empire est la proie de violents désordres et de courants centrifuges. Le 4 août, un hôtel situé près de la frontière du Kenya est attaqué par des hors-la-loi ; cinq Européens sont tués. Dans le Godjam, deux officiers de la junte sont assassinés par des bandits. Enlevé en juin par le front de libération du Tigre, un journaliste britannique est relâché en septembre. Au Begemder, dans la région de Gondar, les guérilleros de l'Union démocratique éthiopienne enlèvent plusieurs agglomérations. Le territoire soudanais sert de plus en plus ouvertement de sanctuaire à tous les adversaires de la junte.

Famine

Le spectre de la famine pèse de nouveau sur certaines régions. Après avoir accusé l'ancien empereur d'incurie, les hommes qui l'ont chassé du pouvoir encourent la même accusation. En août 1976 on dénombre 65 000 affamés dans le Sud. En décembre, on prévoit un déficit céréalier de 200 000 t, et, en avril 1977, on sait que la récolte de blé sera de 20 % inférieure à celle de 1976. Impopulaires, les héritiers de l'ancien pouvoir impérial font largement appel à l'aide extérieure américaine qui, durant un quart de siècle, domina la politique étrangère éthiopienne.