Un voyage en URSS en novembre 1976 et un remaniement, qui suit en décembre lors du Ve plénum du Comité central, permettent pourtant au Premier secrétaire de retrouver son crédit. En allant à Moscou, il voulait obtenir un soutien à sa politique et recevoir l'aide matérielle nécessaire pour faire face aux difficultés alimentaires. On sait vite que sa visite est un succès, même si les autorités soviétiques continuent de critiquer en sourdine cet homme qui louvoie habilement entre les pays socialistes et occidentaux.

Témoins inquiets des désordres de juin 1976, les autorités soviétiques ne peuvent refuser leur concours ; elles acceptent d'augmenter de 15 % les livraisons de biens de consommation et de machines, accordent un crédit d'un milliard de roubles (intérêt de 2 %), promettent la fourniture d'un million de tonnes de céréales.

Remaniement

Fort de cet appui, Edward Gierek, qu'on voyait déjà à la merci d'un second Radom, consolide sa position en remaniant adroitement la direction du Parti et du gouvernement. Nommant à des postes plus élevés les tenants de la tendance dure, il les écarte en fait de fonctions où leur influence était beaucoup plus manifeste. Ainsi, Joseph Kempa, considéré comme le chef de file des jeunes loups et un des principaux rivaux du leader polonais, doit-il renoncer à sa tâche particulièrement importante de Premier secrétaire du comité du Parti de Varsovie au profit d'un poste de vice-Premier ministre, où son influence ne pourra qu'être diminuée. Processus identique pour Jan Szydlak, réputé lui aussi pour son intransigeance, qui devient également vice-Premier ministre, mais perd son poste au secrétariat du Parti. Il est remplacé par Stefan Olszowski, qui abandonne son portefeuille de ministre des Affaires étrangères (l'ancien ambassadeur à Paris, Emil Wojtaszeck, lui succède) ; beaucoup considèrent désormais S. Olszowski comme l'homme de l'avenir.

Edward Gierek peut alors jouer la carte de l'indulgence, qu'il a toujours préconisée. Le 3 février 1977, s'adressant aux ouvriers de l'usine de tracteurs d'Ursus, il annonce que les conditions sont maintenant réunies pour « faire profiter du pardon ceux des condamnés qui se sont repentis ». De fait, les autorités multiplient les mesures de grâce, et, un an après ces événements, 67 des 76 détenus ont retrouvé la liberté.

En tirant un trait (malgré les pressions des éléments les plus inflexibles) sur ce passé qui a failli l'emporter, le no 1 polonais désarme du même coup les intellectuels contestataires, qui s'étaient regroupés en septembre dans un Comité de défense des ouvriers victimes de la répression et que La presse accuse d'être « à la solde des milieux les plus réactionnaires à l'Ouest ». Dans les milieux gouvernementaux, pourtant, on ironise : « Ils sont peu nombreux mais bruyants » et on ajoute : « Nous ne procurerons pas à ces gens-là le plaisir d'être emprisonnés. »

Ce qui est démenti de façon flagrante en mai. En effet, l'agitation qui se manifeste dans les milieux étudiants à la suite de la mort mystérieuse, le 7, à Cracovie, d'un dissident de 23 ans, Stanislas Pyjas, provoque un brusque durcissement de la part des autorités. Neuf membres ou sympathisants du Comité de défense des ouvriers, sont arrêtés ; interpellations et perquisitions se multiplient. Le 20 juin, des pétitions, réunissant 875 signatures, sont adressées à E. Gierek pour lui demander la libération de ces neuf autres détenus.

Difficultés

L'économie reste marquée par la volonté de concilier les impératifs d'une industrialisation toujours plus poussée avec une amélioration sensible et rapide des conditions de vie d'une population qui tolère de moins en moins restrictions alimentaires (viande, sucre) et rationnement de certains produits comme le charbon.

En 1976, première année du nouveau quinquennat, le PNB a encore augmenté de 7,5 %, la production industrielle de 10,7 % et le salaire moyen de 9 %. Faute de fourrage, le cheptel porcin a diminué de près de 25 %, le cheptel bovin de 6 %, obligeant l'État (qui continue d'exporter 55 % de sa production de viande) à acheter à l'étranger viandes, céréales et fourrage en quantités massives mais quand même insuffisantes. Conséquence : outre la pénurie, un déficit de la balance commerciale de 2 milliards de dollars, alors que la dette extérieure est évaluée entre 10 et 15 milliards de dollars.