C'est une démarche plus politique que militaire, du fait que, depuis avril 1974, le parti de Vientiane (droite) et le Pathet Lao (procommuniste) coexistent dans les principaux organismes de l'État. Au début de l'été 1975, le Pathet Lao, tout en jouant un rôle dominant, ne veut pas assumer seul les responsabilités du pouvoir.

L'année écoulée se caractérise donc par la montée de la gauche et la disparition progressive d'une droite qui s'effondre sous la pression de ses adversaires, mais aussi, et surtout, sous le poids de sa propre corruption, de son incapacité et de sa peur.

Dès le mois de juillet 1974, le gouvernement d'union nationale, présidé par le prince Souvanna Phouma (neutraliste), apparaît paralysé par sa structure même. La cohabitation à la tête de chaque ministère de deux personnalités opposées politiquement ne se fait pas sans heurts. Il arrive qu'un ministre (représentant la droite) se flatte de tenir son secrétaire d'État dans l'ignorance des dossiers.

Ajournement

Victime d'une crise cardiaque, le prince Phouma est contraint de s'absenter du pays pendant plusieurs mois, ce qui ne facilite pas les arbitrages nécessaires.

L'application du programme en dix-huit points (indépendance politique et économique, respect du culte et des traditions, et réalisation d'une démocratie effective), décidé par le conseil politique de réconciliation sous l'inspiration de son président, le prince Souphanouvong (Pathet Lao), se trouve ajournée.

Au mois d'août 1974, devant la crise et l'inflation (le prix du riz, aliment de base, a plus que doublé en un an), les grèves et les manifestations se multiplient à Vientiane. Elles créent une effervescence où se forgent différents mouvements (Fédération des étudiants, Union des travailleurs, Union des femmes) qui vont accélérer le glissement de la population vers la gauche, la droite se révélant incapable de résoudre les problèmes économiques. Ces mouvements se regrouperont sous le nom des Vingt et une organisations de masse pour la paix et la concorde nationale et constitueront le fer de lance de la révolution.

L'agitation dure plusieurs mois, mais se cristallise en mai 1975, alors que le Pathet Lao durcit ses positions. Trois événements seront décisifs :
– d'abord, au début du mois, l'avance des forces du Front patriotique sur la route Vientiane-Luang Prabang et la prise du carrefour stratégique de Salaphoukoune ; le Pathet Lao justifie cette intervention en expliquant qu'il était nécessaire de dissoudre l'armée des montagnards Méo qui, sous le commandement du général Vang Pao, l'homme de la CIA, avait remplacé les Forces armées royales (FAR) ;
– ensuite, le 9 mai, une manifestation contre cinq ministres appartenant à la droite et accusés de « complicité avec les impérialistes dans le sabotage de la concorde nationale et de l'économie » ; les impérialistes sont, en l'occurrence, les hommes de l'USAID (Agence américaine pour le développement international) ; les manifestants réclament leur expulsion. En quelques jours, sous la pression des organisations de masse appuyées par Souphanouvong qui invite la population à chasser « les ultras de droite et les colonialistes », la droite se désagrège totalement. Quatre ministres, six généraux, de nombreux hauts fonctionnaires traversent le Mékong et se réfugient en Thaïlande, accompagnés par les membres des grandes familles féodales du pays ; en même temps, les Américains ferment les bureaux de l'USAID et commencent à évacuer leurs ressortissants ;
– enfin, conséquence des événements précédents, les troupes du Pathet Lao investissent les principales villes du Sud laotien (Paksé, Thakhet et Savannakhet) qui, en principe, devaient demeurer sous l'autorité des forces armées royales. Elles sont accueillies le plus souvent triomphalement par des populations lasses de la guerre et de l'exploitation dont elles sont l'objet de la part de fonctionnaires locaux ; parallèlement, le Pathet Lao prend le contrôle des FAR, certaines unités allant même jusqu'à demander la réunification avec l'armée du Front.

Dans les formes

Fin mai, la passation des pouvoirs est, d'une certaine manière, achevée. Elle s'est effectuée quasiment sans effusion de sang. Le prince Souphanouvong et le Pathet Lao sont les maîtres du pays. Mais Souvanna Phouma, qui, au cours de ces semaines, a canalisé plus que dominé les changements intervenus, reste Premier ministre. La gauche tient à respecter, au moins juridiquement, les termes des accords passés jadis entre les deux partis.