Les Normands – à l'exception peut-être des gens de Seine-Maritime – se soucient notamment de constituer un contrepoids valable aux projets d'aménagement de la basse Seine, « cet avancement monstrueux de la région parisienne en terrain normand ».

« Une région réunifiée aurait plus de chances de faire entendre sa voix à Paris », estiment-ils aussi. Mais, surtout, les Normands raisonnent en Européens. Au lendemain de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, la Normandie a pris conscience que sa chance exceptionnelle était d'être la façade maritime de l'Europe. Une chance qu'elle ne veut pas, en vérité, laisser passer.

De nombreux éléments militent en faveur d'une grande région normande : l'autoroute Paris–Normandie, tout d'abord, qui peut jouer un rôle fédérateur ; le projet de tunnel sous la Manche, qui l'ouvrira davantage encore sur la Grande-Bretagne.

D'ailleurs, les notions de Basse- et de Haute-Normandie n'existent plus. En octobre 1972, le département de l'Eure, par la voix unanime de son conseil général, demandait son détachement de la Haute-Normandie et son rattachement à la Basse-Normandie. La Seine-Maritime se retrouve donc tout à la fois puissante et isolée, situation qui bien évidemment ne saurait durer.

De toute façon, il semble que le problème de la réunification de la Normandie soit dépassé. On n'en est plus à s'interroger pour savoir si la Haute- et la Basse-Normandie doivent faire une seule et même région ; on se demande plutôt si la Haute- et la Basse-Normandie enfin rassemblées suffiront à constituer une véritable entité régionale, de taille suffisante.

Certains – et parmi eux les responsables de l'économie régionale – imaginent une grande région de trois millions et demi d'habitants qui, outre les cinq départements normands, comprendrait la Sarthe et la Mayenne. Ainsi serait constituée une forte région dont les principaux centres (Caen, Cherbourg, Le Mans et Rouen) seraient bien répartis géographiquement, et qui offrirait une façade maritime de 400 km.

Les trois chambres régionales, de commerce et d'industrie, d'agriculture et de métiers, se sont prononcées sans équivoque dans ce sens. Sans aller tout à fait aussi loin, le conseil général du Calvados réclamait lui aussi, et à une très forte majorité, la réunification.

Il ne fait aucun doute en tout cas que l'actuel découpage de la Normandie ne correspond plus – et correspondra de moins en moins – aux impératifs économiques. La population normande en est consciente. Les notables commencent maintenant à le découvrir et, avec eux, les pouvoirs publics.

Bretagne

Trait d'union avec la Grande-Bretagne

La Grande-Bretagne est entrée le 1er janvier 1973 dans le Marché commun. Sa voisine, la petite Bretagne, celle des quatre départements (2 530 800 hab.), n'a pas attendu le dernier jour pour se préparer à l'événement. Depuis la mi-décembre 1972, un car-ferry, le Kerisnel, assure la liaison entre Roscoff et Plymouth.

Grâce à son aménagement (coût 17 millions de F), Roscoff devient un port en eau profonde, une tête de pont moins tributaire de la marée. Le bateau, en six heures, peut désormais atteindre l'Angleterre et y débarquer, selon les saisons, des camions de fraises, de choux-fleurs, d'artichauts, de pommes de terre, d'oignons destinés à Londres et à sa banlieue.

L'affaire est importante. Un marché de 28 millions d'habitants s'ouvre à la Bretagne. Il lui est familier. Mais en dépit des liens historiques de bon et moins bon voisinage, et même de cousinage avec le pays de Galles, les produits bretons ne pénètrent pas massivement dans la grande île. La Grande-Bretagne n'est qu'un très moyen client de la presqu'île armoricaine. Elle vient après l'Italie, la République fédérale allemande, le Benelux. Pourtant, elle est à sa porte.

Pour améliorer cette situation, l'effort doit porter sur l'ensemble des marchés européens. La Bretagne, jusqu'en 1970 inclus, achetait plus qu'elle ne vendait à l'extérieur de la France. En 1971, la tendance a été renversée. Sa balance est devenue positive. En valeur, pas en tonnage. Cette année-là, elle a acheté pour 1 milliard 287 millions de matières premières et de produits ; elle en a vendu pour 1 milliard 766 millions. En 1972, ses exportations ont atteint 2 milliards 408 millions. Bon résultat ? Au niveau de l'ensemble français, il n'est pas extraordinaire. Malgré une progression de 68 % entre 1970 et 1972, la Bretagne est au 18e rang des régions exportatrices. Elle a gagné une place. Grâce, en partie, aux voitures fabriquées à Rennes par Citroën.