Mais les charmes d'une ville-musée s'accordent mal avec l'activité d'une capitale régionale.

Depuis quelques années, le centre de Rouen était devenu le siège quasi permanent d'un immense embouteillage chassant les touristes, recouvrant les monuments d'une épaisse couche noirâtre de poussière et d'acides, menaçant jusqu'à l'existence de certains édifices.

La municipalité, aidée par un atelier d'urbanisme, a mis en œuvre un certain nombre de mesures qui, pour bousculer les habitudes et, dans un premier temps, provoquer l'irritation d'une large partie des Rouennais, ne s'en sont pas moins révélées efficaces. La généralisation du stationnement payant à toutes les artères du centre, la multiplication des sens interdits ont dissuadé les automobilistes d'utiliser leur véhicule ; dans le même temps, on tentait de rejeter sur les boulevards périphériques la circulation.

Enfin, l'ouverture de rues exclusivement réservées aux piétons redonnait aux Rouennais le goût de la marche et leur faisait redécouvrir leur ville.

L'opération ne s'est pas faite sans grincements de dents. Les commerçants de la rue du Gros-Horloge (la première, pour des raisons touristiques, à être livrée aux piétons) craignaient que cette mesure ne pèse sur leur activité. Aujourd'hui, à quelques rares exceptions près, ils sont ravis. La rue du Gros-Horloge est devenue le lieu de promenade privilégié des Rouennais.

Un seul point noir, conséquence du succès de l'expérience : on commence à s'y sentir un peu tassé, les piétons n'ayant que ces trois cents mètres de rue pour alimenter leur fringale de promenade. Les responsables municipaux préparent une extension des voies piétonnes. Peu à peu celles-ci devraient s'étendre à l'ensemble du centre touristique de la ville.

Mais dès qu'on évoque ce problème la polémique rebondit parmi les commerçants intéressés.

Les adversaires de cette extension s'appuient sur l'échec de l'expérience de Genève. La fermeture, en décembre 1972, du centre-ville de Genève à la circulation a conduit à une épreuve de force entre les autorités de la ville et les petits commerçants, qui affirment avoir subi une baisse de 30 % de leur chiffre d'affaires. « Une expérience de voie piétonne, déclarent ses adversaires, ne peut se concevoir que dans un périmètre suffisamment restreint pour que les acheteurs puissent sans trop de fatigue regagner leur automobile. Elle suppose aussi l'aménagement au pourtour des zones interdites de vastes parkings. Il n'existe rien de tel à Rouen, où l'on se trouve bien en peine de trouver des emplacements disponibles pour y construire des parkings. »

Les responsables de la circulation le savent. Ils n'ignorent pas qu'il est impossible de mettre une ville entière en voie piétonne, ni même un trop large secteur ; et ils ne songent pas à le faire. Mais ils savent aussi que pour désembouteiller Rouen, sauver la ville de l'asphyxie, limiter l'incroyable gaspillage de temps, d'énergie et de santé dépensé dans les embouteillages, il faudra bouleverser des habitudes, créer un nouvel état d'esprit.

La rue du Gros-Horloge transformée en promenade apparaît donc à la fois comme un symbole et comme le premier maillon d'une chaîne qui devrait aboutir à une véritable révolution de nos habitudes urbaines, de notre manière de vivre en ville. Mais en créant un besoin – ou en le faisant redécouvrir – les promoteurs de l'opération se sont engagés à le satisfaire et ils ne pourront y parvenir qu'en allant beaucoup plus loin dans la recherche des méthodes et des actions qui devront permettre de sauver les villes et les hommes qui y vivent de plus en plus difficilement.

Basse-Normandie

Une entité de trois millions et demi d'habitants

Une seule Normandie, mais quelle Normandie ?

Durant toute l'année 1972, les Normands n'ont cessé de s'interroger. L'idée de réunification a fait effectivement un long chemin. Ce qui n'était au début que le rêve plus ou moins utopique de nostalgiques du passé (citant indifféremment Guillaume le Conquérant et La Varende) est devenu une volonté économique et politique.