Beaucoup plus importante que la nécessité d'une adaptation juridique apparaît celle d'une adaptation économique. Déjà amorcé, cet effort sera l'objectif essentiel du budget 1972-73 présenté par Anthony Barber, budget qui devrait permettre de doubler le taux d'expansion en l'amenant à 5 %, notamment par une réduction considérable (16 milliards de francs) de la charge fiscale directe (2 700 000 contribuables sont libérés de l'impôt sur le revenu) et indirecte (diminution de la taxe à l'achat), donnant un coup de fouet à la consommation par un encouragement des investissements et par le relâchement du crédit bancaire pour les industriels. Le budget annonce en outre deux mesures d'alignement sur l'Europe : l'introduction de la TVA (à un taux uniforme de 10 %) en 1973 et la création de l'avoir fiscal.

Le conflit minier

La réussite d'une telle politique, qui tient du coup de poker étant donné les risques d'inflation qu'elle comporte, est intimement liée à l'évolution du climat social. Or, dans ce domaine, le gouvernement doit faire face à une situation difficile : d'une part le chômage, qui atteindra le chiffre record de un million de sans-travail, et, d'autre part, une vague de revendications dues à la montée des prix qu'il ne parvient pas à endiguer. Deux épreuves de force vont mettre en évidence sa faiblesse.

C'est d'abord le conflit des charbonnages. Les 280 000 mineurs employés par l'Office national du charbon se mettent en grève le 9 janvier 1972 pour appuyer une demande d'augmentation de salaire de 47 %.

Les gueules noires se présentent comme les sacrifiés de la modernisation des charbonnages, relégués au dix-septième rang de la hiérarchie des salaires. La direction des charbonnages, obligée de tenir compte de l'équilibre de ses finances, ne leur offre que 7,9 %. Le gouvernement, persuadé que la grève sera impopulaire, que les stocks de charbon particulièrement importants cet hiver permettront de tenir longtemps, pousse à la fermeté. Mais le conflit se durcit : les piquets de grève s'opposent à l'enlèvement des commandes de charbon. La solidarité syndicale joue, l'appui du public est acquis aux mineurs.

Au bout de quatre semaines, le gouvernement décide brusquement de dramatiser la situation : il impose l'état d'urgence le 8 février, annonce le 11 des coupures de courant de six à neuf heures par jour. L'Angleterre vit aux chandelles. Plus grave : un million et demi de travailleurs sont menacés de chômage technique, leur entreprise ne recevant plus d'énergie. Les mineurs ne cèdent pas. Au contraire, les incidents se multiplient dans les mines où les autorités prétendent intervenir par la force.

Il faut traiter. Le gouvernement se résout à nommer une commission d'arbitrage présidée par lord Wilberforce. Celle-ci préconise des augmentations allant de 15 à 31 %. C'est un soufflet pour le Premier ministre, qui entendait maintenir la barre de la hausse des salaires à 8 %. Mais il s'incline. Le 21 février, le conflit est terminé. Ces six semaines auront coûté cher au gouvernement.

La loi Carr

Deux mois à peine plus tard, le 16 avril, les cheminots, à leur tour, passent à l'action.

Ils entament une grève du zèle que le gouvernement tente d'interrompre en utilisant pour la première fois les dispositions de la loi Carr, entrée en vigueur le 1er octobre 1971. Le gouvernement obtient effectivement une suspension du mouvement pendant trois semaines, sur ordre d'un tribunal des relations industrielles. Mais la combativité des syndicats reste entière et, après ce répit, le gouvernement doit, là encore, céder. La fiche de consolation qu'il avait obtenue en réussissant à imposer sa loi antigrève est pratiquement réduite à néant par l'épilogue judiciaire d'un autre conflit : la cour d'appel annule les sanctions (une amende de 50 000 livres) infligées aux dockers de Liverpool qui prétendaient se réserver le monopole du chargement des containers.

Autre point noir de la situation sociale : le chômage, qui touche 4 % de la main-d'œuvre. La Grande-Bretagne, avec plus d'un million de sans-travail, détient le record en Europe. Le gouvernement, pour limiter le mal, est contraint de faire des entorses à sa règle de ne pas soutenir les canards boiteux de l'industrie. Il accepte ainsi de subventionner les chantiers de la Clyde, dont la fermeture totale aurait aggravé le chômage dans une région déjà très touchée.