Engagée dès le mois de juillet 1971, la bataille parlementaire, marquée par des combats incessants et toujours incertains, ne se terminera qu'un an après par la ratification définitive du traité de Bruxelles, signé en janvier 1972. Menée dans un climat social tendu, la bataille économique se révélera plus aléatoire, en dépit des mesures audacieuses prises par le gouvernement.

Hostilité

Le 7 juillet, un Livre blanc est publié sur les conditions de l'adhésion britannique aux Communautés européennes. C'est un fantastique succès : 5 millions d'exemplaires que l'on s'arrache ! Mais c'est un échec psychologique. 58 % des Britanniques, selon les sondages, se déclarent toujours opposés à l'entrée de leur pays dans le Marché commun.

Vue à travers les palinodies de H. Wilson, elle apparaît en effet plus tactique que spontanée. En vérité, elle correspond à un sentiment populaire profond dont le parti travailliste ne fera finalement que tenir compte. C'est ainsi que la confédération des syndicats (TUC), lors de son congrès de septembre 1971, votera à main levée la résolution hostile à l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun « aux conditions qui lui sont faites ». Des pétitions en faveur d'un référendum recueilleront des centaines de milliers de signatures. L'hostilité n'est d'ailleurs pas l'apanage de la gauche. Au sein du parti conservateur, les irréductibles font front autour d'Enoch Powell.

Dans ce combat, la force d'Edward Heath, c'est la bourgeoisie éclairée, la technocratie et les industriels qui animent la Confédération des industries britanniques.

Victoire des Européens

Le débat de juillet aux Communes n'est qu'une simple passe d'armes, Edward Heath, pour des raisons tactiques, ayant préféré remettre à l'automne le vote qui devait donner le feu vert au gouvernement pour signer le traité de Bruxelles. Du 21 au 28 octobre, partisans et adversaires de l'Europe s'affrontent de nouveau avec obstination dans l'enceinte du Parlement. Edward Heath et ses supporters exaltent la chance d'une nouvelle grandeur. Harold Wilson et les porte-parole de l'opposition dénoncent une nouvelle fois l'insupportable fardeau de l'Europe agricole et les inadmissibles exigences des Six. Plus que le débat, qui finit par ronronner tant les arguments des deux camps sont connus et ressassés, c'est l'attente du scrutin final qui domine cette semaine historique. Le 28 octobre au soir, le verdict tombe : Edward Heath l'emporte. Par 356 voix contre 244. À la Chambre des Lords, la victoire des Européens est encore plus nette : 451 oui contre 58 non.

Ce vote, qui sera déterminant bien qu'il ne soit qu'un épisode de la bataille parlementaire, aura des conséquences considérables.

– Le prestige du Premier ministre est considérablement renforcé. Les augures les plus optimistes lui accordaient, au mieux, 80 voix de majorité. Il en obtient 112. Le détail du scrutin montre qu'en dépit de la liberté de vote accordée à ses troupes les défections, bien qu'importantes (39), ne menacent pas l'unité du parti conservateur.

– La division du parti travailliste, en revanche, éclate au grand jour : 69 rebelles ont défié les consignes en votant pour l'Europe, 19 se sont abstenus. La crise ainsi officiellement ouverte atteint directement l'autorité du leader Harold Wilson, soumis aux critiques acerbes de ses propres lieutenants.

Son ultime palinodie, sept mois plus tard, sur la question du référendum (« arme splendide pour les démagogues et les dictateurs », avait dit Clement Attlee) fournira un prétexte aux Européens pour abandonner leur poste au sein du parti : le 10 avril, le Comité directeur travailliste ayant décidé de soumettre au Parlement une motion en faveur d'un référendum sur l'Europe (motion qui sera repoussée par 286 voix contre 235), Roy Jenkins, leader adjoint, George Thomson, Harold Lever, lord Chalfont, membres du cabinet fantôme, donnent leur démission.

– La relance de l'Entente cordiale. Annoncé par la levée du veto élyséen à l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, le rapprochement franco-britannique trouve sa justification dans le succès d'Edward Heath. La visite de Maurice Schumann à Londres (15 novembre), le week-end aux Chequers de Georges Pompidou (18-19 mars), le voyage de la reine en France (15-19 mai) consacrent ce renouveau de l'entente Paris-Londres, nouvel axe de la politique européenne.

Législation et économie

Tout n'est cependant pas fini. Dès janvier s'engage une longue procédure parlementaire destinée à adapter la législation britannique aux règles communautaires. La majorité gouvernementale tombe parfois à 8 voix. Mais la bataille se réduit peu à peu à des combats d'arrière-garde ou à des escarmouches sans lendemain.