En réalité, il faudra sept mois pour y parvenir. Car, quelques jours auparavant, la CDU s'est donné un nouveau président en la personne de Rainer Barzel, jeune politicien de 40 ans, ancien leader du groupe CDU au Parlement, habile et séduisant. La CSU bavaroise de Franz Josef Strauss l'accepte bientôt, elle aussi, comme son candidat à la chancellerie pour 1973. En s'entendant avec R. Barzel, F. J. Strauss, le faiseur de chanceliers, a mis comme condition une opposition systématique et irréductible aux traités avec l'Est.

Malgré son intention de ne pas pratiquer une opposition destructive, R. Barzel s'en tiendra jusqu'au printemps à ce qui a été convenu. Il multiplie les demandes d'explication à propos de ces traités, tout en expliquant lui-même pourquoi l'opposition ne peut les accepter. Il se rend personnellement à Moscou, où il est reçu à un niveau élevé (par Andrei Gromyko en particulier) et en revient très sûr de lui-même ; il laisse entendre que s'il venait à remplacer W. Brandt à Bonn, il serait en mesure de renégocier les traités, pour leur donner une forme plus avantageuse pour la RFA (c'est-à-dire impliquant moins de renonciations).

Mais bientôt, dans les pays de l'Est, la presse et les autorités font savoir qu'il n'est pas question d'une telle renégociation : c'est la ratification ou le retour à la guerre froide. L'opposition CDU-CSU s'enflamme alors devant ce qu'elle appelle une pression, voire une intervention, et F. J. Strauss, qui avait félicité Brandt au moment du prix Nobel, l'attaque désormais avec la plus grande violence.

Défiance constructive

La crise arrive en avril, avec des séances parlementaires houleuses, que certains comparent à celles de la république de Weimar. Dans les derniers jours du mois-avant le débat sur la ratification, le Bundestag doit voter sur le projet de budget pour 1973. Mais une confusion générale s'installe. Trois députés libéraux-démocrates viennent de faire savoir qu'ils ne pourraient pas en conscience voter avec leurs camarades de la majorité à propos des traités. Et Rainer Barzel s'avise qu'il peut battre Willy Brandt avec cet appoint de voix, grâce à la procédure de la motion de défiance constructive, procédure propre à la Constitution de la RFA : si le chef de l'opposition rassemble sur une telle motion la majorité absolue des voix (dans ce cas, 249 voix), il succède automatiquement au chancelier en place.

Nouvel encouragement pour R. Barzel à risquer le tout pour le tout : les élections du land de Bade-Wurtemberg (les sociaux-démocrates progressent un peu, mais la CDU obtient 53 % des suffrages). En fait, elle a bénéficié du désistement en sa faveur du parti NPD d'extrême droite, qui avait eu 9,8 % des voix en 1968. Barzel croit à un revirement de l'électorat en sa faveur et se voit déjà chancelier « ce soir », dit-il au matin du 27 avril. Vient le vote : 247 voix pour sa motion. Il n'a pas gagné et, surtout, sa réputation en RFA et à l'étranger a énormément souffert de cette attaque impatiente.

Le lendemain, malgré tout, il remporte un succès : le projet de budget est repoussé (247 voix pour, 247 voix contre). Devant cet équilibre quasi absolu des forces, R. Barzel modifie son attitude. Malgré la colère croissante de Franz Josef Strauss, il accepte une série d'entretiens en tête à tête avec le chancelier, destinés à l'éclairer davantage sur la vraie signification des traités. Au bout de plusieurs jours, il se croit en mesure de recommander le oui : Willy Brandt et Walter Scheel, ministre des Affaires étrangères, ont en effet transmis oralement à l'ambassadeur soviétique, Valentin Faline, une interprétation des traités qui convient à Barzel et que les Soviétiques n'ont pas repoussée.

Nouvelle péripétie au sein de l'opposition : on refuse ce qu'on considère comme une ruse de dernière minute. Et Barzel cède, en deux temps : il renonce à imposer la discipline de vote sur le oui, puis il recommande l'abstention. Le 17 mai, le vote a lieu sans surprises : 248 voix pour (dix députés ont voté contre le traité de Moscou et 17 contre celui de Varsovie). La ratification est chose faite.