– La poussée des extrémistes de droite. Le score réalisé par Enoch Powell — quadruplant sa majorité —, ancien ministre, célèbre pour ses diatribes contre les gens de couleur et son opposition au Marché commun, donne la mesure de l'audience de cette nouvelle extrême droite nationaliste et raciste. Au total, elle gagne 9 sièges et a 29 représentants aux Communes. Ces gains sont compensés par ceux de la tendance libérale, largement représentée parmi les nouveaux venus à la Chambre (sur 330 élus, 101 sont de nouveaux députés). L'existence de cette aile droite ne peut donc gêner sérieusement Edward Heath, qui incarne, par ses origines comme par ses idées, un conservatisme plus technocratique et plus libéral.

Edward Heath

Edward Heath, qui devient Premier ministre cinq ans après avoir été élu chef de son parti, n'a rien du conservateur traditionnel, à l'encontre de ses prédécesseurs Harold McMillan et lord Home. Il est d'origine modeste et son premier geste après sa victoire a été d'aller saluer son vieux père, ancien menuisier du village de Broadstairs, près de Douvres, où il a passé son enfance. Il a fait ses études secondaires dans une grammar school et non dans un collège privé, et ses études supérieures comme boursier, ce qui était rare à l'époque. Il a parcouru l'Europe de l'entre-deux-guerre à pied, sac au dos, sans argent et sans avenir assuré. À cinquante-quatre ans, il a néanmoins l'allure et les goûts d'un gentleman accompli : élégant, toujours bronzé, parlant avec un léger accent d'Oxford, il s'offre le luxe d'avoir deux hobbies : la musique — il est un bon organiste — et le bateau — son 11 mètres, le Morning Cloud, a gagné l'année dernière la course Sydney-Hobart.

C'est en 1950 qu'après quelques années dans l'administration et la banque il entre dans la vie politique. Modestement. Élu député de Bexley à une faible majorité, il accepte deux ans plus tard le rôle ingrat de surveillant général (whip) du parti, qu'il conserve sept ans avant d'avoir son premier poste ministériel. En 1961, lord Home, qui avait remarqué ses convictions européennes, le nomme lord du Sceau privé chargé des négociations de Bruxelles. Il y gagne l'estime des diplomates et une certaine popularité qui lui permet, quatre ans plus tard, d'être élu leader de l'opposition. La presse s'est montrée féroce à son égard durant la campagne électorale, lui reprochant son manque de punch et son absence d'éloquence. « Le suicide, écrivait le Times, est une rareté dans la vie politique, mais s'il est un homme qui s'arrose d'essence et attend qu'on y mette le feu, c'est bien Edward Heath. »

Sa victoire politique, il l'a résumée lui-même : « Si vous voulez que les gens aient la liberté et une vie faite à la fois d'action et de réflexion, la prospérité en est la base. Sans une certaine prospérité, personne ne peut vraiment vivre [...]. La clef de toutes choses, c'est la création de nouvelles richesses nationales. »

Edward Heath est le premier chef de gouvernement célibataire depuis lord Balfour en 1902.

Les coudées franches

Le Premier ministre ne doit d'ailleurs sa victoire qu'à lui seul et il aura, au moins pendant un certain temps, les coudées franches. L'équipe qu'il a constituée dès le lendemain des élections est homogène (18 ministres au lieu de 21) et brillante. De lourdes tâches vont la mettre rapidement à l'épreuve : un conflit avec les syndicats se profile à l'horizon, en raison, d'une part, de la volonté avouée des conservateurs de limiter les grèves et, d'autre part, de la poussée revendicatrice qui a déjà fait sauter le fragile équilibre des prix et des salaires.

Sur le plan extérieur, trois dossiers importants : l'Europe — le plus urgent —, la Rhodésie et l'Afrique du Sud, qui attendent une ouverture du retour des conservateurs ; enfin les États-Unis, qui tenteront d'obtenir le maintien, au moins pour un nouveau délai, de la présence britannique à l'est de Suez, de manière que le désengagement américain au Viêt-nam ne s'accompagne pas d'un retrait simultané des forces britanniques de l'Asie du Sud-Est au golfe Persique. La première réunion du cabinet a eu lieu dès le mardi 23 juin. Quarante-sept mille dockers lançaient un ordre de grève pour le 14 juillet.

La violence déchire l'Ulster

La formation du nouveau gouvernement de Belfast, sous la direction du major Chichester-Clark, n'a pas les résultats qu'on espérait à Londres, malgré les mesures d'apaisement prises par le Premier ministre de l'Irlande du Nord et malgré ses promesses (réformes en faveur de l'égalité de vote entre catholiques et protestants dans les consultations locales, et amélioration des conditions de logement des catholiques les plus déshérités).