À leur congrès national, les Jeunes agriculteurs restent d'une extrême dureté à l'égard du gouvernement « 1967 devrait être l'année de l'élevage ; elle restera, en fait, celle de la révolte des éleveurs », déclare Raoul Serieys.

Cependant, à Luxembourg, Edgar Faure obtient une révision de la grille des prix agricoles, au profit du bœuf, qui devra augmenter de 7 % au 1er avril 1968, du prix du maïs, production elle aussi déficitaire dans la CEE ; le prix de l'orge est relevé. Les conditions du soutien du marché du porc en Bretagne sont améliorées.

Lettre aux Français

La FNSEA décide, à la fin de ce mois d'octobre tumultueux, de s'en remettre aux parlementaires pour améliorer le projet de budget agricole ; elle diffuse « une lettre aux Français ». Elle ne renonce cependant à démobiliser ses militants qu'après avoir obtenu des concessions importantes sur la TVA : possibilités d'option plus larges, remboursement forfaitaire plus élevé, promesse du bénéfice de la franchise et de la décote à partir de 1969.

Les grandes batailles paysannes de 1967 s'achèvent par un armistice tacite avec les pouvoirs publics, les viticulteurs montrant toutefois leur opposition à toute importation (des barrages sont dressés fin novembre dans le Midi et il y a des dégâts sur les voies ferrées). L'Ouest continue à aiguillonner Edgar Faure pour la défense des productions animales. Mais le conflit n'est plus qu'épistolaire.

G. Pompidou annonce à Clermont-Ferrand, le 1er mars, les mesures que le gouvernement va prendre pour accélérer la modernisation de l'agriculture dans les zones de rénovation rurale. L'indemnité viagère de départ au taux réévalué y sera accordée dès l'âge de 60 ans. De nouvelles concessions sont faites aux éleveurs pour la TVA sur le bétail vivant. Il reste à Edgar Faure à gagner la bataille européenne du lait et du bœuf.

Manifestants à Bruxelles

Ce dossier brûlant, dominé par les difficultés d'écoulement des excédents et des charges qui en résultent, est inscrit à l'ordre du jour de maints conseils à Paris, à Bruxelles et à Luxembourg. L'échéance du 1er avril 1968, qui devait marquer l'entrée en vigueur du marché unique, n'est pas respectée.

Traumatisés par les insuffisances de la politique agricole européenne à leur égard, les éleveurs de l'Ouest ont décidé de venir plaider eux-mêmes leur dossier auprès des instances européennes. B. Lambert a ouvert la voie dès juin 1967. La délégation ne comprenait au départ qu'une poignée de militants, mais le mouvement était lancé.

C'est un véritable meeting européen que les producteurs de lait français réussissent à tenir le 12 mars 1968.

Quelques jours auparavant, Mansholt a lancé sa bombe : diminuer le prix du lait et abattre les petits troupeaux. « C'est de la provocation... On nous sacrifie aux trusts margariniers », disent les producteurs, qui fixent ainsi une étroite marge de manœuvre aux négociateurs.

De nouveaux meetings ont lieu dans toute la France le 24 mai et à Bruxelles le 27 mai. L'accord, inespéré, est obtenu le 30 mai : le prix du lait n'est pas abaissé. Le principe d'une taxe sur la margarine est adopté, le marché commun du bœuf est institué. Le gouvernement français décide d'appliquer immédiatement ces accords, sans attendre le 1er juillet. Les producteurs sont quasi satisfaits.

Devant toutes ces secousses, les dirigeants et les organisations professionnelles précisent ou modifient leurs analyses et leurs positions.

Trois catégories

Raoul Serieys, devant le congrès du CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs), demande aux pouvoirs publics de tenir compte de l'existence de trois catégories d'agriculteurs. La première catégorie, compétitive, peut voler de ses propres ailes ; il faut ensuite distinguer celle qui a vocation à devenir compétitive de celle qui, victime des mutations, demeure inguérissable et doit bénéficier d'aides sociales directes.

Cette analyse n'est, cependant, pas partagée par Michel Debatisse, qui remplace, en janvier 1968, Marcel Bruel au secrétariat général de la FNSEA. Jugeant insupportable pour les finances publiques, et pourtant justifiée, la prise en charge par la société de la mutation de l'agriculture, Michel Debatisse estime inadmissible de laisser végéter les paysans en surnombre qui n'ont pu trouver un emploi hors de l'agriculture.