naturalisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin naturalis, « naturel ». Français du xvie s.


La référence à une nature est utilisée aussi bien par Aristote pour fonder une norme sociale(1), que par des sophistes pour la mettre en cause(2). On a pu alors accuser le naturalisme de faiblesse conceptuelle, puisqu'on pouvait tirer d'une même prémisse des conclusions contradictoires.

Philosophie Générale

Doctrine consistant à expliquer l'ensemble de ce qui est à partir de considérations naturelles, sans se référer à un principe transcendant.

En refusant de considérer une autre forme de causalité que celle issue de la nature, autonome, le naturalisme se rattache à une attitude de pensée initiée par le matérialisme antique, ainsi qu'à l'enseignement du positivisme. L'ensemble de la nature est compris comme enchaînement de phénomènes, et toute forme d'ontologie est rejetée au profit d'une ontique stricte, qui s'écarte du finalisme ou de la métaphysique. Le naturalisme n'est donc pas un courant historiquement identifiable, et peut être appliqué aussi bien aux atomistes de l'antiquité qu'à Galilée, Hume, Darwin, Freud, ou à l'ensemble de la science moderne. En biologie, le naturalisme ne donne à l'homme aucun privilège ontologique, en faisant l'objet d'une science naturelle qui l'étudié de la même manière les autres choses. Kant accuse le naturalisme de n'être autre chose qu'une misologie(3), qui ne laisse aucune place aux idées transcendantales. Une telle accusation est cependant injuste, dans la mesure où le naturalisme revendique l'utilisation stricte de la raison. L'intelligibilité totale de la nature présupposée par le naturalisme pose effectivement problème, mais, entendu comme une méthode d'investigation non métaphysique, ou comme un athéisme méthodologique, ce dernier permet de comprendre la structure des révolutions scientifiques. Une objection plus fondamentale pourrait être faite à cette méthode, lorsqu'elle prend l'homme pour objet : elle met en place un processus d'objectivation de l'humain, qui risque de limiter ce dernier à sa dimension purement naturelle, permettant la naissance des sciences humaines mais négligeant, dans le même temps, de penser le phénomène non naturel de la liberté ou la question de la personnalité.

Didier Ottaviani

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Politique, I, 5 et 6.
  • 2 ↑ Platon, Gorgias, 483 a-484 c.
  • 3 ↑ Kant, E., Prolégomènes à toute métaphysique future, § 60, trad. Guillermit, L., Vrin, Paris, 1986, p. 144.
  • Voir aussi : Moscovici, S., Essai sur l'histoire humaine de la nature, Flammarion, Paris, 1968.

→ darwinisme, évolution, évolutionnisme, finalisme, matérialisme, ontique, positivisme, positivisme logique, réductionniste

Morale, Politique

Position (et non doctrine) interprétative commune à des thèses diverses, selon laquelle toute norme et toute culture ne sont, en dernière analyse, compréhensibles que référés à une nature.

Les théories politiques antiques font usage du terme de « nature » tantôt sous l'autorité d'une métaphysique, tantôt dans le cadre des maximes d'un empirisme doxique : la nature est alors moins un concept qu'un principe axiologique, et c'est comme telle qu'elle intervient dans le champ politique.

Rousseau représente un tournant, dans la mesure où il transforme cette nature valorisée en élément clé d'une opération théorique déterminée(1). La nature précédant la culture n'a jamais existé : elle est une hypothèse de méthode qui suppose une origine rationnelle des sociétés distincte de leur commencement historique. Le naturalisme ne peut plus alors être la quête d'un invariant infrasocial (cette quête est laissée au genre mythique : le naturalisme littéraire), il devient la méthode d'une philosophie politique qui dépouille de ses sédiments historiques toute norme, artifice ou culture, pour en dévoiler l'essence.

Ce naturalisme, comme usage archéologique ou généalogique(2) de la nature dans la pensée politique, retrouve en fin de compte la physis, dans la mesure où il pense la nature comme puissance et non plus invariant, comme une virtualité dont toute construction culturelle constitue à la fois le développement et la contradiction(3).

Sébastien Bauer et Laurent Gerbier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Rousseau, J.-J., second Discours, 1re partie.
  • 2 ↑ Foucault, M., « Nietzsche, la généalogie, l'histoire », in Hommage à Jean Hyppolite, PUF, Paris, 1971.
  • 3 ↑ Mauss, M., « Les techniques du corps », in Sociologie et Anthropologie, PUF, Paris, 1950.

→ culture, histoire, loi, nature, norme, politique

Esthétique

1. École littéraire définie par Émile Zola autour de 1880. – 2. Doctrine esthétique qui se donne pour objet l'étude objective des phénomènes humains en tant qu'ils résultent de l'engendrement des processus vitaux et de l'action du corps sur l'esprit. Par extension, toute production artistique ayant pour méthode l'examen du corps, ses déterminants et ses implications.

Le naturalisme est avant tout un courant littéraire qui a regroupé des auteurs tels que Zola, Huysmans et Maupassant. Fondée sur l'étude de l'être humain, selon une perspective physiologique influencée par les développements de la médecine expérimentale de Cl. Bernard et le positivisme de Taine, l'esthétique naturaliste assigne une fonction scientifique à l'art et plaide en retour pour une approche causale des œuvres. Se réclamant de découvertes biologiques récentes (évolutionnisme et lois de l'hérédité), l'expression naturaliste cherche à en tirer toutes les conséquences pour l'étude des phénomènes humains les plus complexes. Seul l'art semble être en mesure de les représenter en conservant toutes les nuances au sujet des interactions entre l'individu et le déterminisme du « milieu ».

Le naturalisme apparaît donc comme une spécialisation et un infléchissement du courant réaliste dans un sens physiologique, tandis que celui-ci portait une attention toute particulière aux dimensions de la réalité sociale. Au xxe s., l'actionnisme viennois offre par son cynisme un exemple extrême de certains développements du naturalisme dans les arts plastiques.

Mathieu Kessler

Notes bibliographiques

  • Taine, H., La philosophie de l'art (1865), Fayard, Corpus, Paris, 1985.
  • Zola, É., Le roman naturaliste (anthologie, éd. H. Mitterand), Le Livre de poche classique, Paris.
  • Zola, É., Écrits sur l'art (éd. J.-P. Leduc-Adine), Gallimard, Tel, Paris, 1990.

→ nature, réalisme, scientisme

Métaphysique

Thèse selon laquelle tout ce qu'il y a dans le monde appartient à la nature et s'explique par des processus naturels.

Le naturalisme a deux volets : ontologique – tout ce qui est appartient au domaine de la nature – et épistémologique – ; toute explication authentique ne doit faire appel qu'à des processus causaux naturels. L'un n'implique pas l'autre, car un dualiste des substances peut inclure dans la « nature » des entités telles que des substances spirituelles ou un Deus sive natura spinoziste, que les sciences de la nature, de prime abord, n'acceptent pas. La force de la thèse naturaliste dépend donc de ce qu'on est prêt à accepter comme faisant partie de la nature, et il y a autant de sortes de naturalismes que de conceptions de la nature. Le naturalisme est aussi, dans ses formes les plus fortes, la thèse selon laquelle le monde ne contient pas de propriétés modales, telles que des possibles, des essences ou des pouvoirs causaux. Il soutient, alors, que la nature est seulement le domaine des faits que la science de la nature peut décrire. Le naturalisme de Hume, et de ses héritiers positivistes, qui réduisent toutes les vérités à des vérités descriptives au sujet du monde réel, toutes les causes à des régularités et toutes les valeurs à des projections de notre psychologie, fait partie des formes les plus fortes de la doctrine. La thèse naturaliste la plus radicale est le physicalisme, qui soutient que les seules entités qui existent sont des entités physiques, ou des entités réductibles à des entités physiques. Selon que l'on inclut dans la nature et dans l'ordre causal des processus et entités biologiques, psychologiques, sociales, etc., le naturalisme sera une thèse plus ou moins accueillante. Mais on peut aussi dire qu'elle perd d'autant en spécificité. Nombre de philosophes admettent un naturalisme ontologique, mais rejettent un naturalisme épistémologique, en soutenant que les propriétés mentales, en particulier, ne peuvent se réduire à des propriétés physiques. Mais ce naturalisme non réductionniste peut alors paraître si faible qu'en un sens tout le monde peut être naturaliste. Le dilemme du naturalisme n'est pas tant le dilemme kantien – comment réconcilier la nature et la liberté ? – que le dilemme entre une conception si radicale qu'elle paraît fausse et une conception si conciliante qu'elle apparaît triviale.

Pascal Engel

Notes bibliographiques

  • Kim, J., Mind in a Physical World, Mass, MIT Press, Cambridge, 1999.

→ causalité, dualisme, monisme, nature, ontologie, physicalisme, positivisme, possible