loi

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin lex, « loi », de legere, « lire ». En grec : nomos, « partage », d'abord au sens d'un territoire utilisé en commun (« pâturage »), puis plus généralement au sens de la règle de répartition (nomos signifie alors « loi » ou « coutume »).


La notion de loi est multiforme mais Montesquieu en a donné la description la plus suggestive en évoquant, dans De l'Esprit des Lois, l'idée qu'elle serait l'expression « de rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ». Il y a bien plus, ou bien moins dans la forme de la loi que ce rapport à une nature ferme, inexorable, au sein de laquelle le modèle législatif serait comme toujours déjà présent. Articulée entre la théologie, la philosophie du droit et la philosophie des sciences, l'idée de loi est aussi et surtout, dans l'histoire de la philosophie, celle de la relation entre langage et nature, polis et force, règles de l'entendement et règles d'une causalité qui lui fait face.

Philosophie Générale

Formule exprimant une obligation liée à un intérêt général.

La notion de loi est articulée à celle de l'obligation voire celle de la nécessité, en plusieurs sens distincts, tous présents dans les traditions et les systèmes philosophiques.

Le premier sens, théologique, provient du commandement biblique dont l'origine ne peut être que transcendante : c'est Dieu qui commande et son expression est transcrite dans les tables de la loi mosaïque, qui constituent tout à la fois, de façon contradictoire, une alliance et une soumission. De ce sens naît celui que l'on trouvera par la suite dans le philosophème kantien de la loi morale : l'impératif catégorique (tu ne tueras point, mais aussi et surtout : tu ne mentiras point(1)) se propose d'inscrire la loi d'airain de la tradition vétéro-testamentaire dans l'intimité d'une pratique personnelle de l'action par devoir. Ce n'est plus dans le visage courroucé d'un Dieu vengeur que se lit la puissante nécessité de la vie vertueuse, mais dans la forme-même du respect de l'humanité en moi.

Le second sens est attesté en droit romain par l'action spécifique du pouvoir législatif détenu par les magistrats et Sénateurs, qui agissent au nom du peuple romain envers le peuple romain. La loi est alors un commandement qui est ressenti comme l'expression d'une puissance publique extérieure à la famille (noyau juridique fondamental) mais qui en est comme l'émanation. Le pouvoir d'un père est sans limites dans son foyer puisque la loi ne s'exerce que dans les rapports qui naissent de l'espace public de la cité. La réflexion politique de Rousseau fait de la loi, dans le Contrat social, une création du Législateur (celui qui sait ce que veut la volonté générale), sorte de démiurge dont il n'y a d'exemple probants que dans la Grèce antique (les Lycurgue, Solon et autre Périclès) ou dans les Constitutions (Pologne, Corse) rousseauistes elles-mêmes. Il n'y a de lois que du général pour le général, le Législateur ayant la difficile mission de produire ce que la volonté générale veut sans jamais pouvoir savoir ce qu'elle veut(2). Or l'obligation qui est issue de la loi est elle-même directement fondée dans la légitimité du pacte social. Cette obligation n'est alors une contrainte que pour celui dont l'entendement est si rétréci qu'il ne voit pas combien la loi, puissance née du pacte, est l'expression de sa propre volonté. En ce sens la volonté générale de Rousseau n'est pas différente de l'intérêt général qui se manifeste dans les décrets et sénatusconsultes qui forment l'origine d'un sens juridique de l'obligation dans la loi. Il convient de noter que la « loi naturelle » des penseurs politiques de l'âge classique (différente en cela de la « loi naturelle » des théologiens qui est la loi mosaïque), prise dans le sens d'une nécessité issue de la nature comme jeu de forces aveugles et mécaniquement déterminées, s'oppose à la notion plus idéale de « droit naturel ». Ce dernier renvoie en effet aux droits qui sont déductibles de la nature humaine : plus proche d'une conception artificialiste de la loi que ne l'est le vocable de « loi naturelle », le concept de droit naturel est aussi à l'origine d'une extension du domaine de la loi vers la prescription idéale, voire utopique, d'une loi positive enfin accordée aux principes de la morale.

Un dernier sens général apparaît dans le passage d'une loi juridique, exprimant l'obligation née de l'intérêt général, à une loi en nature relevant d'une nécessité aperçue dans les choses elles-mêmes. Cette sorte de lois, nul ne peut y être rebelle et aucun pacte n'en légitime le fondement : un corps jeté à la surface de la Terre, fût-il celui d'un sceptique qui réfute l'existence de la loi galiléenne de chute, va subir une accélération constante. La fin du xviie s. va fixer définitivement le sens du terme « loi » au sein de la physique géométrisée puis mathématisée. Est une loi la description d'une relation constante entre deux paramètres, relation qui dès lors peut prendre la forme d'une généralisation. Newton supposait qu'il devait être possible d'étendre par induction à l'univers entier ces rapports constants, en les attribuant ainsi, à partir des corps observables, à tous ceux que nous ne pouvons pas observer(3). Ainsi la loi d'attraction n'est validée que dans la mesure où elle exprime une relation constante, observable dans la cinématique terrestre tout comme dans la mécanique céleste, et dont la forme spécifique doit pouvoir être appliquée à l'ensemble des corps dans l'univers. Plus avant, Albert Einstein prend acte de l'existence de lois de la nature dont l'existence transcende les champs disloqués et incompatibles de la physique classique : la vitesse de la lumière, le principe de relativité, le nombre d'Avogadro ou la constante de Planck sont l'expression, rencontrée dans tous les domaines de la physique, de rapports authentiquement constants. C'est en admettant la fixité de ces lois de la nature que Albert Einstein a pu concilier, dans la théorie de la Relativité au sens restreint, l'électromagnétisme et la mécanique(4). Puisque ces lois de la nature ne changent pas en passant d'une physique à l'autre, ce sont les coordonnées de la physiques qu'il faut modifier.

On le voit, et sans entrer plus avant dans cette révolution scientifique, l'idée d'un rapport constant, contraignant, qui est le fondement même de la loi, peut être compris soit comme relevant d'une position instrumentaliste sans rapport à la constitution même de la nature, soit comme renvoyant, en son fond, à une grammaire profonde, réaliste, de la nature.

Fabien Chareix

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la raison pratique, Gallimard, Paris, 1985, pp. 105 et suiv.
  • 2 ↑ Rousseau, J. J., Du Contrat social, II, 11 (Paris, Flammarion, 1966).
  • 3 ↑ Newton, I., Philosophiæ naturalis principia mathematica, III, Regulæ Philosophandi. (Éd. Koyré-Cohen, Harvard Press, Chicago, 1961).
  • 4 ↑ Einstein, A., La théorie de la relativité restreinte et générale, Dunod, Paris, 1999 (1916), passim.

→ droit, idéalisme, impératif, instrumentalisme, réalisme

Politique

La loi politique est, comme la loi morale et à la différence de la loi scientifique, une « loi de la liberté » : elle prescrit ce qui doit être au lieu de décrire ce qui est(1). Par là, son objet est contingent : elle oblige un nombre (société) dans un espace (territoire) et dans un temps qui sont tous déterminés par des moyens non nécessaires.

En un sens positif, obligation publique et générale instituée par un pouvoir souverain, qui règle les rapports au sein d'une société. En un sens fondamental, désigne le principe même de la souveraineté.

La définition platonicienne de la loi rappelle qu'elle n'est au fond qu'un pis aller (« La loi ne sera jamais capable de saisir ce qu'il y a de meilleur et de plus juste pour tous, de façon à édicter les prescriptions les plus utiles. Car la diversité qu'il y a entre les hommes et les actes, et le fait qu'aucune chose humaine n'est, pour ainsi dire, jamais en repos, ne laissent place, dans aucun art et dans aucune matière, à un absolu qui vaille pour tous les cas et pour tous les temps(2) »). Si la loi demeure aux yeux de Platon la meilleure forme de direction des communautés politiques étant donné l'absence d'une science politique parfaite, il reste que l'on ne voit pas bien ce qui dans cette contingence est susceptible d'obliger.

En effet, la loi n'apparaît que comme un énoncé singulier, objet d'une décision humaine individuelle ou collective. Décision individuelle, lorsque la loi relève d'un seul, et ne fait alors que traduire dans l'obligation générale la volonté d'une puissance souveraine. Selon le droit romain, « ce qui plaît au prince a force de loi (quod principi placuit lex habit vigorem) ». Mais cet arbitraire peut être amendé par la considération de deux garanties, divine ou naturelle.

Chacune considère que la loi politique n'est qu'une application régionale de la légalité générale de l'univers. Cette légalité générale se conçoit comme ordre instauré par Dieu (la loi politique n'est alors qu'un effet éloigné de la volonté divine par la médiation de son vicaire terrestre(3)) ou comme constitution immanente de notre nature : la loi politique est alors conçue comme un accomplissement de la loi naturelle (« Les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses »(4)). La généralité de la loi n'est plus dans ce cas un obstacle à son efficacité, mais au contraire le principe-même de son caractère obligatoire(5), par où elle se présente comme une protection contre l'arbitraire des inégalités particulières.

Dans l'horizon de cette généralité une équivoque se révèle : la loi ne désigne pas seulement les énoncés qui définissent collectivement le licite et l'illicite. On doit en effet distinguer les lois civiles ou pénales de la loi politique qui, comme loi fondamentale, définit la constitution même de la cité ou de l'État. Dans cette perspective la loi désigne le principe-même de la conservation de la société politique : elle s'identifie alors à la constitution de l'État comme principe supérieur que les lois positives doivent sauvegarder(6). Dans cette ultime figure, le concept de la loi retourne la précarité et la contingence constatée par Platon pour en faire ses atouts propres, en tant qu'il contient le principe d'une maîtrise collective du temps qui est le sens fondamental de la souveraineté politique.

Sébastien Bauer et Laurent Gerbier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, II, Ch. 2, 1re section, p. 1363. Trad A. Delamarre, in Œuvres philosophiques I, NRF-Gallimard, Paris, 1980.
  • 2 ↑ Platon, Politique, 294b, trad. L. Robin, in Œuvres complètes II, NRF-Gallimard, Paris, 1950.
  • 3 ↑ Aquin, T. (d'), Les Lois, trad. J. de la Croix Kaelin, Téqui, 1998.
  • 4 ↑ Montesquieu, C.L. (de), L'esprit des lois, I, 1., GF-Flammarion, Paris, 1979.
  • 5 ↑ Rousseau, J.-J., Du contrat social, II, 6., GF-Flammarion, Paris, 1992.
  • 6 ↑ Hobbes, T., Léviathan, chap. 26, p. 435. Trad G. Mairet, Gallimard, Paris, 2000.

→ droit, institution, politique, pouvoir, volonté générale




la loi dans les sciences

Philosophie des Sciences

Énoncé, déterministe ou probabiliste, reliant mathématiquement plusieurs variables. Les lois d'évolution considèrent la valeur de ces variables en fonction du temps.

Pour autant que la physique antique et médiévale connaissait des « lois », celles-ci étaient avant tout qualitatives, c'est-à-dire concernant le « mode d'être » des substances, et non véritablement quantitatives(1), c'est-à-dire portant sur des mesures numériques précises. Les seuls domaines vraiment quantifiés (à l'exception de la statique archimédienne), à savoir l'astronomie et la musique, étaient considérés comme plus proches des mathématiques que de la physique.

La loi galiléenne de la chute des corps généralisée par Newton inaugura la période moderne des lois unificatrices de la physique. Cependant la forme de ces lois s'est, par la suite, fortement diversifiée, et le statut qui leur fut accordé a toujours fait l'objet de controverses.

La forme des lois physiques emprunta d'abord, chez Descartes et Newton par exemple, le langage géométrique des proportions. C'est seulement à l'extrême fin du xviie s. que le formalisme infinitésimal commença à être employé en physique. Au xixe s. apparurent des lois intrinsèquement statistiques (Boltzmann, Maxwell) et celles dont l'écoulement du temps est orienté (second le principe de la thermodynamique), et non plus réversible comme il l'était jusqu'alors. Plus tard, la relativité restreinte (1905) changea la signification des variables temporelles et spatiales en les particularisant pour chaque repère. La relativité générale (1915) introduisit un nouveau type de loi physique, les équations « covariantes ». Enfin, la mécanique quantique inaugura un nouveau type d'outils en physique, les opérateurs matriciels (« observables ») remplaçant les grandeurs classiques.

Le statut à attribuer à ces lois a autant varié : après plusieurs siècles de controverse sur l'articulation entre l'action de Dieu et les lois de la nature, les débats actuels se jouent schématiquement entre les « réalistes »(2), pour qui la nature est gouvernée par des lois autosubsistantes, et les « instrumentalistes »(3) pour qui ces lois sont seulement des artefacts utiles à l'esprit. Entre ces pôles s'organise une multitude de « troisièmes voies » (pragmatistes, wittgensteiniens, néokantiens, etc.) désirant trouver une articulation entre l'ambition explicative des lois, qui vise à trouver des « causes » aux phénomènes, et leur utilisation simplement prédictive, qui se satisfait de prévoir numériquement des résultats.

Alexis Bienvenu

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Blanché, R., l'Induction scientifique et les Lois naturelles, p. 120, PUF, 1975.
  • 2 ↑ Tooley, M., Causation, A Realist Approach, Clarendon Press, Oxford, 1987.
  • 3 ↑ Fraassen, B. (van), Lois et Symétries, présentation et trad. C. Chevalley, Vrin, 1994 [1989].
  • Voir aussi : Kistler, M., Causalité et Lois de la nature, Vrin, 2000.

→ explication, pragmatisme, réalisme




lois de la pensée

Logique, Philosophie Cognitive

Caractérisation de la logique selon la conception psychologique du xixe s.

Par analogie avec la physique supposée décrire les lois de la nature, les logiciens et les philosophes du xixe s., comme Boole(1) ou S. Mill, considéraient la logique comme science des lois de la pensée. Mais cette conception a été critiquée par Frege et Husserl comme psychologiste, et comme confondant l'objectivité et l'idéalité des lois de la logique avec leur origine naturelle dans l'esprit. Frege parle des lois logiques comme « lois de la pensée », mais celles-ci sont selon lui par principe indépendantes du sujet qui les connaît et éternellement vraies.

Même si la conception de la logique comme théorie des lois de la pensée est aujourd'hui discréditée, le platonisme de Frege(2) et du premier Husserl(3) ne laisse pas de poser problème : si les lois logiques sont absolument autonomes par rapport à la pensée, comment pouvons nous les saisir et comment peuvent-elles avoir une force normative ?

Pascal Engel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Boole, G., les Lois de la pensée, Vrin, Paris, 1985.
  • 2 ↑ Frege, G., Écrits logiques et philosophiques, Seuil, Paris, 1969.
  • 3 ↑ Husserl, E., Recherches logiques, PUF, Paris, 1959.

→ logique, psychologisme