pouvoir

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin potere, de posse.

Morale, Politique

1. Dans un sens très général, possibilité d'agir d'un individu ou d'un groupe. – 2. D'un point de vue moral, politique ou social, exercice d'une action sur un être humain, par laquelle on obtient qu'il consente à se comporter d'une manière qu'il n'aurait pas spontanément adoptée.

Le terme « pouvoir », pris de manière très générale, semble un synonyme de celui de « puissance », au sens de capacité d'agir ou de potentialité à produire des actes. Mais le pouvoir doit se révéler, se manifester dans ses effets, il ne peut rester une possibilité ou une virtualité. Un pouvoir s'exerce. Selon Hobbes, « le “pouvoir” (power, potentia) d'un homme (si l'on prend le mot dans son sens universel) consiste dans ses moyens présents d'obtenir quelque bien apparent futur »(1). Ainsi, le pouvoir se définit bien par ses effets, ce qu'il permettra d'obtenir, et son statut de moyen permet d'emblée d'en souligner la réalité, l'effectivité présente.

Il ne faut pas confondre le pouvoir avec une puissance seulement physique, comme pourrait le suggérer une identification trop rapide avec la notion de force. Hobbes le définit d'emblée en fonction des relations entre les hommes. Les arts, l'éloquence, la libéralité sont des « pouvoirs naturels », et la richesse, la réputation, les amis, des « pouvoirs instrumentaux ». Le pouvoir peut ainsi être présent au cœur de ce qui constitue une communauté politique légitime. Il ne constitue pas une force obscure, voire occulte, purement opposée à la légalité et corrompant par essence toute activité politique ou morale. Le point crucial en jeu est celui du consentement qu'il engage. Rousseau soulignait que « le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir »(2).

Max Weber a tenté d'analyser cette paradoxale « violence légitime » en définissant les concepts de « puissance » (Macht) et de « domination » (Herrschaft). « “Puissance” (Macht) signifie toute chance de faire triompher au sein d'une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance. “Domination” (Herrschaft) signifie la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un “ordre” (Befehl) de contenu déterminé. »(3). Le concept de puissance est « sociologiquement amorphe », il doit être articulé au concept de domination. Incluant l'existence d'un devoir d'obéissance à un ordre légitime, ce dernier présuppose la présence d'un groupement de type politique. Un rapport de pouvoir suppose l'articulation entre un médium institutionnel et la possibilité de faire triompher sa volonté. Ainsi conçu, le champ social n'est pas le simple produit d'un conflit, mais le consentement ne s'y réduit pas à l'accord.

Hannah Arendt définit au contraire le « pouvoir » (power) comme « l'aptitude de l'homme à agir de façon concertée »(4). Le pouvoir engage ainsi l'expérience d'un consentement irréductible à un processus de domination. Le rassemblement le faisant naître lui donne sa légitimité. Cette analyse ne montre cependant pas comment se prennent effectivement les décisions dans une société, ni ce qui permet à certains hommes de réussir à exercer une autorité durable.

Ce souci de l'effectif est, au contraire, présent dans l'œuvre de Michel Foucault(5). Sans origine, voire sans essence, le pouvoir y apparaît comme « s'exerçant » de manière diffuse dans les relations multiples et singulières qui trament le nexus social. S'identifiant à une action sur l'action des autres, il est concevable comme une manière de diriger la conduite d'individus ou de groupes, comme un « gouvernement ». Ainsi, une structure de domination se ramène à une structure globale de pouvoir. Le problème du consentement s'efface devant une étude des procédés permettant d'opérer sur le champ de possibilités des sujets. Ainsi, le pouvoir suppose toujours la liberté, mais surtout en tant qu'elle s'oppose à la limitation de son champ. Un « agonisme » est présent dans tout le tissu social : un rapport généralisé d'incitation réciproque et de lutte, distinct d'un simple antagonisme.

Le concept de pouvoir permet l'étude des champs sociaux politiques ou moraux dans leur effectivité, il doit pour cela garder son caractère paradoxal et ambigu, sans réduire les rapports complexes qu'il fait apparaître. C'est ce qui menace les analyses contemporaines du pouvoir, notamment celle de Michel Foucault.

Jean-Paul Paccioni

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Hobbes, T., Léviathan (1re édition anglaise, 1651 ; édition latine, 1668), trad. F. Tricaud, « Léviathan », 1re partie, chap. 10, Sirey, Paris, 1971, p. 81.
  • 2 ↑ Rousseau, J.-J., Du contrat social (1762), livre I, chap. 3, Flammarion, Paris, 2001, p. 49.
  • 3 ↑ Weber, M., Wirtschaft und Gesellschaft (4e édition, 1956), trad. J. Freund et alii, « Économie et Société », chap. 1, § 16, Plon, Paris, 1971, p. 95.
  • 4 ↑ Arendt, H., Crisis of the Republic (1969), trad. G. Durand, « Du mensonge à la violence », « Sur la violence », Calmann Lévy, Paris, 1972, p. 144.
  • 5 ↑ Foucault, M., « Deux essais sur le sujet et le pouvoir » in Michel Foucault, Beyond Structuralism and Hermeneutics (1982), de Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, « Michel Foucault, un parcours philosophique », Gallimard, Paris, 1984.
  • Voir aussi : Alain, Propos sur les pouvoirs, Gallimard, Paris, 1989.
  • Arendt, H., On Révolution (1963), trad. M. Chrestien, « Essai sur la révolution », Gallimard, Paris, 1971.
  • Aron, R., « Macht, Power, Puissance : prose démocratique ou poésie démoniaque », in Études politiques, Gallimard, Paris, 1972.
  • Diderot, D., « Autorité politique », article de l'Encyclopédie, Œuvres III, Laffont, Paris, 1995.
  • Foucault, M., Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 1975.
  • Jouvenel, B. (de), Du pouvoir (1re édition 1945), Hachette, Paris, 1987.
  • La Boétie, É. (de), Discours de la servitude volontaire (1548), Garnier-Flammarion, Paris, 1983.
  • Machiavel, N., Discorsi sopra la prima deca di Tito Livo (1531) trad. Guiraudet, « Discours sur la première décade de Tite-Live », Berger-Levrault, Paris, 1980.
  • Machiavel, N., Il principe (1532), trad. Fournel et Zancarini, « Le prince », PUF, Paris, 2000.
  • Negri, T., Il potere costituente (1992), trad. Balibar et Matheron, « Le pouvoir constituant », PUF, Paris, 1997.
  • Rousseau, J.-J., Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755), Garnier-Flammarion, Paris, 1971.
  • Sénellart, M., Les arts de gouverner, Seuil, Paris, 1995.
  • Spinoza, B., Tractatus politicus, trad. P.-F. Moreau, « Traité politique », Éditions Répliques, Paris, 1979.

→ liberté, puissance, violence