Son élocution est excellente, son style riche. Grand amateur de jazz et de musique pop, admirateur de Frank Sinatra, il manifeste un goût sûr pour les œuvres d'art (modernes notamment) et la littérature. La vallée des poupées, de Jacqueline Susann, est l'un de ses livres préférés. Youri Andropov est certes l'homme le plus cultivé du bureau politique. C'est un intellectuel, adepte des débats d'idées, mais à condition qu'ils soient feutrés et ne débouchent jamais sur des controverses publiques. De là sa réputation de libéral, probablement surfaite. Pragmatique, il préfère à coup sûr la persuasion à la répression sanglante. Mais il ne recule devant aucune méthode pour préserver les intérêts vitaux du bloc soviétique. On l'a vu lors de la terrible invasion de la Hongrie par l'armée rouge en 1956, qu'il a supervisée.

Après l'intermède diplomatique, Y. Andropov est chargé, de 1957 à 1967, des rapports avec les pays de l'Est. Membre du comité central du PC de l'Union soviétique eu 1961, secrétaire en 1962, il entre au bureau politique comme suppléant en 1967, puis comme titulaire en 1973. Il fait alors partie du noyau central qui influe, aux côtés de Leonid Brejnev, sur les destinées de l'empire soviétique. Mais, bien plus que ses activités diplomatiques ou partisanes, c'est sa carrière à la tête de la toute-puissante police secrète KGB qui a façonné la personnalité du numéro un soviétique et lui a permis de se hisser, aux postes de commande de l'État.

À la tête du KGB pendant 15 ans — de mai 1967 à mai 1982 —, Youri Andropov dirige, de son imposant quartier général de la Loubianka, place Dzerjinski, à Moscou, plus d'un demi-million d'agents disséminés en Union soviétique et dans le monde entier et dispose d'un budget dépassant 5 milliards de dollars. Le masque impassible, le regard voilé derrière de grosses lunettes d'écaille, il réussit à extirper la dissidence, à coups d'exils et d'internements dans les hôpitaux psychiatriques. Les dossiers qu'il possède sur ses pairs du bureau politique et du comité central lui donnent une longueur d'avance sur eux. De mauvaises langues attribuent au KGB les mystérieux décès de hauts dirigeants soviétiques en 1982 et une campagne de rumeurs visant de proches parents de L. Brejnev. Quoi qu'il en soit, c'est la mort subite de Mikhaïl Souslov qui lui permet de devenir, le 24 mai 1982, secrétaire du comité central, c'est-à-dire idéologue de fait du régime et faiseur de rois.

Fermeté

La connaissance précise qu'a Youri Andropov de la situation du pays, de ses dirigeants, des dessous du régime, son style sobre et direct, sa réputation de fermeté et d'efficacité, son expérience des affaires tant nationales qu'internationales, le fait aussi qu'il ne fut pas une pure créature de L. Brejnev comme le pâle Constantin Tchernenko expliquent le soutien manifeste apporté à son élection par l'armée.

Depuis plusieurs mois déjà sans doute, deux des plus importants personnages de l'État avaient choisi Y. Andropov : le maréchal Oustinov, ministre de la Défense — et avec lui toute la hiérarchie militaire —, et Andreï Gromyko, le puissant chef de la diplomatie soviétique.

Dès son premier discours, le 15 novembre 1982, lors des obsèques de Leonid Brejnev sur la place Rouge, devant les délégations de plus de 80 pays, le nouvel homme fort montre sa détermination. Il se déclare « prêt à une coopération honnête (...) avec tout État qui en manifestera le désir », mais promet à tout agresseur « une riposte foudroyante ».

Évictions

C'est surtout le 22 novembre, devant le comité central — qui voit la promotion au bureau politique de Gueidar Aleiev, ancien chef du KGB en Azerbaïdjan, et la nomination comme secrétaire du comité central d'un technocrate, Nikolaï Ryjkov —, que Youri Andropov justifie sa réputation de fermeté. Son discours, dépouillé de slogans, montre que la débrejnévisation est en cours et que le pragmatisme devient la règle.

S'en prenant à ceux qui, sur le plan économique, laissent se développer « l'inactivité et l'irresponsabilité », il déclare qu'ils devront en subir les conséquences « dans leur situation professionnelle et leur autorité morale ». Et le couperet tombe. En quelques jours, on assiste à l'éviction du ministre des Chemins de fer, puis de celui de la Construction agricole, et à des changements à la tête des services de propagande du Parti (Agitprop) et des jeunesses communistes (Komsomol). Le 17 décembre, c'est au tour du ministre de l'Intérieur, Nicolaï Chtchelokov, d'être relevé de ses fonctions, au profit de Vitali Fedortchouk, qui dirigeait le KGB depuis mai 1982. Victor Tchebrikov prend la tête du KGB, dont il était le premier vice-président.

Stagnation

L'un des plus durs problèmes auxquels Youri Andropov se trouve confronté est évidemment l'économie. Comme chaque année, le bilan est très négatif. Le rythme de la croissance diminue, la productivité est trop faible, le rendement des investissements en chute libre.