Dès le mercredi soir, l'apparition des présentateurs des journaux télévisés vêtus de noir et l'annulation, sans explication, des émissions de sports et de variétés avaient amené à penser qu'un très important dirigeant était mort.

Le décès de Leonid Brejnev — dû à un « arrêt subit du cœur » — est l'aboutissement d'une longue maladie dont les premiers signes apparaissent à partir de 1973 : traits bouffis, démarche pesante, gestes raides, élocution difficile et absences nombreuses, parfois prolongées. Début septembre, le bruit de sa démission, vite démenti, court Moscou, et sa succession devient le principal sujet de conversation des diplomates occidentaux.

Succession

Mais un voyage en Azerbaïdjan du premier secrétaire du Parti à la fin du même mois, où il dénonce les dangers de la corruption, et surtout un discours brutal qu'il prononce fin octobre au Kremlin devant les principaux chefs militaires et les dignitaires du Parti — après s'en être pris, avec une violence étonnante, aux États-Unis, il appelle l'armée à « renforcer en permanence la défense du pays » — montrent qu'il entend rester le patron.

Ce n'est pourtant qu'un dernier sursis. Il préside le 7 novembre, debout, deux heures et demie durant, le traditionnel défilé qui marque le 65e anniversaire de la révolution. Mais le spectacle qu'il donne en saluant péniblement la foule, après s'être fait aider pour monter les marches du mausolée de Lénine, annonce la fin proche.

Continuité

Célérité inhabituelle, mais preuve d'un parfait fonctionnement des institutions et d'une volonté de continuité dans la légalité, on connaît le 12 novembre, dès le lendemain de l'annonce de la mort de L. Brejnev et avant même son enterrement, le nom du gagnant de la guerre de succession : Youri Andropov, 68 ans, ancien chef du KGB, qui est désigné par le plénum du comité central à la tête du parti communiste. Sa candidature au poste suprême est présentée par celui qui passai jusqu'alors pour son principal rival, Constantin Tchernenko, membre comme lui à la fois du secrétariat du parti et du bureau politique.

Si, comme tous les autres dirigeants, Youri Andropov est un inconnu pour les Soviétiques, personne n'ignore qu'il a été pendant quinze ans — de 1967 à 1982 — le chef de la police secrète, le KGB, et qu'à ce titre il peut s'enorgueillir d'avoir décapité la dissidence, dont les chefs de file ont été éliminés, par l'exil forcé (Soljenitsyne et Boukovski), la relégation (Andreï Sakharov), ou le goulag (Youri Orlov et Anatole Chtcharanski). L'un des derniers mouvements structurés — le Groupe moscovite de surveillance des accords d'Helsinki — se saborde en septembre, faute de militants.

Youri Andropov, le nouvel homme fort

Quel est donc le vrai visage de Youri Vladimirovich Andropov, qui a succédé le 12 novembre 1982 à Leonid Brejnev ? La question obsède chancelleries, états-majors et salles de rédaction. Le secrétaire général du PC soviétique est russe, à la différence de Staline (géorgien), de Khrouchtchev et de Brejnev (ukrainiens). On sait qu'il est né en 1914 à Nagoutskaïa, petite localité du Caucase, que son père était employé des chemins de fer.

Après avoir exercé divers petits métiers au début des années 30 — ouvrier, télégraphiste, assistant opérateur de cinéma, marinier sur la Volga —, il achève en 1936 son diplôme d'ingénieur des eaux au collège technique des transports fluviaux de Petrozavodsk. Sa femme d'origine finnoise — aujourd'hui décédée — lui a donné deux enfants : Irina, mariée à un acteur, et Igor, 37 ans, expert de l'Institut d'études des États-Unis et du Canada. La carrière politique de Y. Andropov permet de mieux cerner les multiples facettes de cet étrange personnage, qui, tel le Dr. Jekyll et Mr. Hide, suscite chez ses interlocuteurs un mélange de crainte, d'espoir et de fascination. Que faut-il retenir ? Le diplomate des années 1953 à 1957, successivement chef de département au ministère des Affaires étrangères, conseiller d'ambassade puis ambassadeur, à Budapest ? Grand, silhouette un peu voûtée mais distinguée, tenue sobre mais soignée, pudique, réservé, il parle le hongrois, l'anglais, l'allemand, le finnois aussi peut-être.