Télévision« Édouard m'a tuer »... La tribune libre d'André Rousselet dans le Monde du 17 février est le point culminant de la crise qui secoue Canal Plus. À la suite d'un pacte d'actionnaires secret entre Havas, la Compagnie générale des eaux et la Société générale, le « père fondateur » de la chaîne cryptée, un homme proche de la gauche, se retrouve en position minoritaire. Ce putsch, équivalant pour certains à une « mise sous tutelle de la chaîne » par Matignon, entraîne la démission immédiate du P-DG, qui en abandonne la présidence à son « fils spirituel », Pierre Lescure, jusqu'alors directeur général. En novembre, les dix ans de Canal Plus sont marqués par d'autres mauvaises nouvelles avec, pour la première fois, une stagnation du nombre d'abonnés (3,7 millions) et une chute de l'action en Bourse, passée de 1 150 francs en février à environ 915 francs en fin d'année. Toutefois, la démission tonitruante d'André Rousselet contraint le gouvernement à mettre la pédale douce sur les obligations de la chaîne, au moment de la renégociation de sa concession. Canal Plus n'est « taxée » que d'une obligation de production (5 % du chiffre d'affaires, soit environ 400 millions de francs par an), alors que l'ancien ministre de la Communication, Alain Carignon, envisageait de « solliciter sa participation au développement du plan câble » (dont les principaux opérateurs sont la Lyonnaise et la Générale des eaux...) et de limiter la publicité sur les plages en clair.
Programme télé : la galère des enfants gâtésLa dernière campagne publicitaire de Canal Plus le disait clairement. Ou presque. « Pendant qu'on regarde Canal Plus, au moins on est pas devant la télé », clamaient des panneaux de quatre mètres sur trois. Façon élégante d'affirmer que la télé est ennuyeuse. Il est vrai que les trois nouveaux talk-shows de la rentrée, qui avaient largement alimenté la chronique, furent loin de remporter l'audience escomptée. L'un d'eux, « Tout le toutim », animé par Christophe Dechavanne, fut même, par sa suppression dès le troisième numéro, à l'origine d'une véritable « affaire ». Au mois de mai (saison des transferts comme au football), le départ de Michel Drucker de TF1 pour France 2 fut un petit événement sans que l'on sache exactement qui faisait la meilleure affaire. TF1 laissant partir un animateur reconnu mais dont l'audience s'effritait ou le service public trop heureux de séduire encore les « valeurs sûres ». Il est évident que sur TF1, « Star 90 », l'émission de Drucker, ne faisait plus ses scores précédents (et, en conséquence, possédait une valeur publicitaire en baisse). La chaîne privée avait donc proposé à l'animateur de diviser son contrat (presque) par deux (2,5 millions l'émission au lieu de 4,2), mais ce dernier refusa, préférant passer « en face » où on lui proposait le créneau difficile de 19 à 20 heures. Les débuts de ce talk-show, « Studio Gabriel », furent bien hésitants. Trop lente à une heure d'écoute plutôt jeune public, desservie par une programmation trop classique, l'émission a trouvé un rythme de croisière décevant avec 18,9 % de parts de marché, alors qu'à la même heure, sur TF1, la série américaine « Rick Hunter » frôlait les 30 %. Au mois de mai, Jean-Pierre Elkabbach avait également cherché à débaucher Christophe Dechavanne, et TF1 dut mettre le paquet (250 millions de francs de chiffre d'affaires garantis à Coyote Production, la société de Dechavanne) pour conserver un de ses animateurs fétiches, qui avait considérablement rajeuni l'audience d'avant soirée, très prisée par les publicitaires. Mais, dans le même temps, Dechavanne avait imposé à TF1... l'arrêt de son talk-show quotidien, « Coucou c'est nous », afin d'accéder au prime time avec une émission hebdomadaire, « Tout le toutim », diffusée à 21 heures. La première de ce divertissement fut calamiteuse, la suivante plus réussie, mais l'audimat resta plat. Deux fois de suite, Dechavanne fut devancé par « Envoyé spécial » de France 2 et, au mieux, ne réussit qu'à faire jeu égal avec l'émission de reportage pour une moyenne d'environ 28 % de parts de marché. Intolérable pour TF1 qui, fin octobre, mit brutalement fin à « Tout le toutim », déclenchant la fureur de l'animateur-producteur. Accusant la chaîne d'avoir rompu un contrat et de mettre ainsi en péril sa société de production (70 salariés), il portait l'affaire en justice. À l'issue de tractations tendues, les deux parties parvinrent à un accord, et Dechavanne devrait revenir sur TF1 en janvier avec une émission dont le concept demeure inconnu. Cette affaire, qui marque le premier échec d'un enfant gâté de la télévision, a toutefois montré au grand jour la dureté d'un univers où l'on compte chaque dixième de part de marché et où le moindre faux pas ne bénéficie d'aucune excuse.