C'est sous pavillon suisse que Godard a présenté à Cannes son film sans doute le plus déconcertant, Passion. Une tentative à la fois pathétique et confuse de traduire, en vrac, le naufrage d'une civilisation où surnagent, hors d'atteinte, les souvenirs culturels, et d'une société où la classe ouvrière ne peut s'exprimer qu'en bégayant, et l'impossibilité de créer et de communiquer que le réalisateur ressent sans doute douloureusement lui-même et dont il nous inflige, douloureusement, les affres. Très différent, mais souffrant aussi d'une sorte de désespérance feutrée, l'autre film suisse de l'année est signé Michel Soutter, qui évoque, dans L'amour des femmes, trois solitudes masculines au pays du confort triste...

Du Canada, un seul film, mais tonique, rafraîchissant, délicieux : Les Plouffe, chronique d'une sorte de famille Duraton du Québec de 1938, aux personnages chaleureux, aux interprètes miraculeux de naturel.

D'Union soviétique nous est venue l'une des plus grandes œuvres de l'année : Stalker, d'Andreï Tarkovski. Une sorte de parabole philosophique, dans un futur, ou un ailleurs, étrange et oppressant, où il n'est pas difficile de voir la transposition d'un pays bien réel, à la recherche d'une raison de vivre et d'espérer, dans la foi, peut-être... Très lent, très long, très beau... On a aimé aussi le splendide Sayat Nova, longtemps retenu et d'ailleurs largement censuré, de Serge Paradjanov, toujours en prison. Et l'on a accueilli avec curiosité, et sympathie, la charmante et très inhabituelle comédie sentimentale, de Vladimir Menchov, Moscou ne croit pas aux larmes, chronique des bonheurs et des désillusions de trois ouvrières entre 1960 et aujourd'hui.

C'est aussi de l'Est, cette fois de Hongrie, qu'est venu Mephisto, une adaptation (très différente de celle, naguère, d'Ariane Mnouchkhine en son Théâtre du Soleil) du livre de Klaus Mann. Un film d'une force rare, démontant, dans l'Allemagne nazie, la trop facile tentation de la collaboration, à travers le chemin suivi par un comédien dévoré d'ambition, qu'incarne, sous la direction d'Istvan Szabo, l'extraordinaire Klaus Maria Brandauer. Mal reçu par le public français, mais salué par un oscar à Hollywood, un très beau film, très fort.

Et puis, bien sûr, l'année a été celle de L'homme de marbre, extraordinaire témoignage sur une Pologne, depuis à nouveau écrasée, mais où Andrezj Wajda, reprenant l'héroïne de L'homme de fer au moment où il l'avait laissée dans le film précédent, boucle la boucle en évoquant, à travers une reconstitution mêlée de documents réels, la formidable poussée qui a abouti à la naissance de Solidarité. Primé à Cannes en 1981, ce film, à la fois réaliste et lyrique, et que les événements de l'hiver 81 rendent d'autant plus bouleversant, a dominé l'ensemble de la production. Où l'on constate, finalement, que ce sont le plus souvent les œuvres à contenu politique, celles qui viennent du cœur pour porter témoignage, qui furent les plus réussies. Ce qu'a, d'ailleurs, confirmé la double palme d'or cannoise de 1982, récompensant, avec Missing, le superbe film turc Yol. Or, à cet égard, la France, si elle a incontestablement, cette année, connu un sursaut dans la qualité d'un cinéma dont elle n'a pas à rougir, reste à la traîne : les œuvres fortes viennent toujours d'ailleurs.

Télévision

Prudent et difficile changement

S'il est un domaine que le gouvernement, formé au lendemain du 10 mai 1981, sait devoir manier avec précaution, c'est bien celui de la télévision. D'une part parce que les nouveaux dirigeants savent qu'à force d'être réformée, la télévision nationale est devenue très chatouilleuse sur le chapitre de ses relations avec l'État, d'autre part parce qu'une grève des programmes perturbe les habitudes de millions de Français. Ce qui fait des mécontents turbulents de chaque côté du petit écran.

La télévision est, selon les sondages, suivie régulièrement par 75 % des téléspectateurs, ce qui représente, certains soirs, près de 30 millions de citoyens.

Nominations

Le changement semble attendu, là aussi. De manière confuse ou contradictoire sans doute dans l'opinion, ce qui rend la tâche encore plus délicate. Dans un premier temps, personne ne bouge : les uns attendent le couperet, les autres se font discrets. « Pas question de démissionner, nous n'avons rien à nous reprocher », affirment certains. « Que le gouvernement prenne ses responsabilités et que les têtes tombent », clament d'autres.