Mais la superstar incontestée de la danse demeure Noureev, toujours aussi idolâtré du grand public. À quarante-quatre ans, il joue les condottiere, se produisant avec de nombreuses compagnies internationales, comme le Ballet de Boston du Canada ou la Scala. En décembre 1981, il était l'invité de la troupe de Nancy lors d'une rétrospective des Ballets russes de Diaghilev au théâtre du Châtelet. Il y interprétait Le spectre de la rose, Petrouchka et L'après-midi d'un faune, mais il ne possède plus les capacités physiques lui permettant d'assumer des rôles où s'illustra Nijinsky, même s'il demeure magnétique et fascinant.

Sa venue comme directeur du ballet à l'Opéra de Paris est négociée depuis plusieurs années par la Direction de la musique et de la danse ; elle est pratiquement acquise, mais on ne peut jamais présumer de l'avenir en la matière, surtout en France. Déjà Maurice Béjart, qui devait venir s'installer à Chaillot pour diriger une école de Mudra, s'est récusé, alors que les travaux d'aménagement étaient déjà fort engagés ; mais lui aussi peut changer d'idée. L'été dernier, il dirigeait un stage au centre Acanthes d'Aix-en-Provence, pas loin du fief de son rival, Roland Petit.

La télévision française continue à traiter la danse comme un simple divertissement, qu'elle filme sans aucune notion de sa technique et de sa mise en valeur par l'image ; aucune chaîne ne tient compte de l'essor d'un art particulièrement spectaculaire et ne lui consacre d'émissions régulières. Le cinéma, par contre, lui a apporté une contribution appréciable, avec la production d'un film d'un jeune réalisateur autrichien, Robert Dornhelm, She dances alone. Tourné à San Francisco, ce film permet de découvrir la fille de Nijinsky, Kyra, devenue aujourd'hui une vieille dame absolument extravagante qui s'identifie totalement à son père, dont elle reflète en quelque sorte la personnalité hors du commun.

Grand prix national
(18 décembre 1981)

Danse : Noëlla Pontois.

Chanson

Des moments d'émotion dans une saison plutôt morose

Deux affiches et trois noms dominent la saison 1981-82 : la rentrée d'Yves Montand et le spectacle du couple Lewis Furey-Carole Laure ont surpris tous les publics par la perfection technique qui accompagne leur inspiration et leur talent. Juste retour des choses : en ces temps de changement, de réflexion et de recherche, la chanson découvre qu'elle n'est pas seulement affaire d'alchimistes de mots et de notes, mais aussi le métier délicat de professionnels rigoureux.

L'annonce du retour d'Yves Montand à la chanson a provoqué dès la fin juin 1981 une vague d'enthousiasme bien compréhensible : depuis treize ans, le célèbre chanteur n'avait donné qu'un seul récital, en 1974, au profit des réfugiés chiliens. Yves Montand avait également enregistré un disque et remis au goût du jour quelques-uns de ses propres classiques.

Pour son passage à l'Olympia (7 octobre - 3 janvier), il est difficile de se procurer des places au retour des vacances, le célèbre music-hall de la rive droite affiche complet très rapidement. Cette ruée sympathique s'accompagne d'une spéculation que l'artiste dénonce vigoureusement : cette ombre au tableau donne néanmoins la mesure de l'exceptionnelle popularité du chanteur.

Yves Montand chante ses succès de toujours, des Feuilles mortes à La bicyclette en passant par Le carrosse, Battling Jo, Le chef d'orchestre, À Paris, Les grands boulevards. Certes, en allant l'applaudir, les milliers de spectateurs de tous les horizons célèbrent leur propre mémoire et font la fête aux souvenirs d'une époque — leur jeunesse — où la chanson était populaire, fraternelle, poétique : Jacques Prévert côtoyait Francis Lemarque dans ce Paris de la Libération où l'on retrouvait le goût de la vie.

Mais si, pour les uns, Yves Montand symbolise la jeunesse et la joie de vivre, pour les autres, plus jeunes, c'est une précieuse découverte : la chanson, véhicule de mots et de sensations sonores, porteuse d'idéologies ou instrument de dérision — depuis dix ans, bien des auteurs-compositeurs-interprètes en usent ainsi —, la chanson, donc, peut aussi être un véritable art scénique. L'interprète des Plaines du Far West et de Luna Park sait comme nul autre mettre en scène une chanson et en faire une œuvre dramatique à elle seule. Ce talent unique a fait d'Yves Montand le plus grand ambassadeur de la chanson française à travers le monde.