Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Programme télé : la galère des enfants gâtés

Rentrée-sortie

La dernière campagne publicitaire de Canal Plus le disait clairement. Ou presque. « Pendant qu'on regarde Canal Plus, au moins on est pas devant la télé », clamaient des panneaux de quatre mètres sur trois. Façon élégante d'affirmer que la télé est ennuyeuse. Il est vrai que les trois nouveaux talk-shows de la rentrée, qui avaient largement alimenté la chronique, furent loin de remporter l'audience escomptée. L'un d'eux, « Tout le toutim », animé par Christophe Dechavanne, fut même, par sa suppression dès le troisième numéro, à l'origine d'une véritable « affaire ». Au mois de mai (saison des transferts comme au football), le départ de Michel Drucker de TF1 pour France 2 fut un petit événement sans que l'on sache exactement qui faisait la meilleure affaire. TF1 laissant partir un animateur reconnu mais dont l'audience s'effritait ou le service public trop heureux de séduire encore les « valeurs sûres ». Il est évident que sur TF1, « Star 90 », l'émission de Drucker, ne faisait plus ses scores précédents (et, en conséquence, possédait une valeur publicitaire en baisse). La chaîne privée avait donc proposé à l'animateur de diviser son contrat (presque) par deux (2,5 millions l'émission au lieu de 4,2), mais ce dernier refusa, préférant passer « en face » où on lui proposait le créneau difficile de 19 à 20 heures. Les débuts de ce talk-show, « Studio Gabriel », furent bien hésitants. Trop lente à une heure d'écoute plutôt jeune public, desservie par une programmation trop classique, l'émission a trouvé un rythme de croisière décevant avec 18,9 % de parts de marché, alors qu'à la même heure, sur TF1, la série américaine « Rick Hunter » frôlait les 30 %. Au mois de mai, Jean-Pierre Elkabbach avait également cherché à débaucher Christophe Dechavanne, et TF1 dut mettre le paquet (250 millions de francs de chiffre d'affaires garantis à Coyote Production, la société de Dechavanne) pour conserver un de ses animateurs fétiches, qui avait considérablement rajeuni l'audience d'avant soirée, très prisée par les publicitaires. Mais, dans le même temps, Dechavanne avait imposé à TF1... l'arrêt de son talk-show quotidien, « Coucou c'est nous », afin d'accéder au prime time avec une émission hebdomadaire, « Tout le toutim », diffusée à 21 heures. La première de ce divertissement fut calamiteuse, la suivante plus réussie, mais l'audimat resta plat. Deux fois de suite, Dechavanne fut devancé par « Envoyé spécial » de France 2 et, au mieux, ne réussit qu'à faire jeu égal avec l'émission de reportage pour une moyenne d'environ 28 % de parts de marché. Intolérable pour TF1 qui, fin octobre, mit brutalement fin à « Tout le toutim », déclenchant la fureur de l'animateur-producteur. Accusant la chaîne d'avoir rompu un contrat et de mettre ainsi en péril sa société de production (70 salariés), il portait l'affaire en justice. À l'issue de tractations tendues, les deux parties parvinrent à un accord, et Dechavanne devrait revenir sur TF1 en janvier avec une émission dont le concept demeure inconnu. Cette affaire, qui marque le premier échec d'un enfant gâté de la télévision, a toutefois montré au grand jour la dureté d'un univers où l'on compte chaque dixième de part de marché et où le moindre faux pas ne bénéficie d'aucune excuse.

Autre enfant gâté de la télévision, Jean-Luc Delarue, passé de Canal Plus (« La grande famille ») à France 2, n'a pas complètement réussi son pari avec « Ca se discute », une émission de débat bâtie sur un concept binaire : les « pour » le lundi, les « contre » le mardi. L'audience reste en dents de scie, entre 19 et 36 % de parts de marché, peut-être desservie par la volonté de choisir des thèmes déconnectés de l'actualité.

Sur France 2, le samedi soir, Nagui avec « N'oubliez pas votre brosse à dents », un jeu débridé parfois à la limite de la vulgarité, et Arthur, qui joue la nostalgie des « Enfants de la télé », ont connu une meilleure réussite sans toutefois imposer un de ces rendez-vous qui vident restaurants et cinémas le samedi soir. L'Événement du Jeudi pouvait donc dresser le bilan de la rentrée télévisuelle en titrant « Rendez-nous nos engueulades d'antan » pour déplorer que l'on soit passé du « face-à-face fielleux au côte à côte mielleux ». Petit périmètre agité sur cette mer d'huile, « Ah ! Quels titres ! » (France 3), nouvelle émission littéraire animée par Philippe Tesson et Patricia Martin, est menée tambour battant. Ce zapping culturel connaît une petite audience en progression constante (environ 7 % de parts de marché).