Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Chez les jeunes, on a peut-être assisté à la naissance d'un nouveau phénomène grâce à Maureen Dor (« Chalu Maureen ») sur France 2, présentée comme l'anti-Dorothée, qui anime des mercredis non-stop. Ses débuts ont bien fonctionné même si la star de TF1 reste de très loin la favorite du jeune public.

Sida

L'émission spéciale « Tous contre le sida », diffusée le 7 avril sur sept chaînes, a duré 6 heures et permis de récolter plus de 50 millions de francs destinés pour moitié à la recherche et pour moitié aux associations d'aide aux malades. En moyenne, plus de 10 millions de Français ont suivi les débats.

M6 qui n'arrête pas de grimper et de capter l'audience aux heures clefs de la fin d'après-midi avec des feuilletons américains comme « Alerte à Malibu » ou « Code Quantum » assure qu'elle investit aussi dans la production française. Elle affirme faire mieux que France Télévision, qui s'enorgueillit de son accord avec l'Union syndicale de la production audiovisuelle (les chaînes publiques s'engagent à investir 17 % de leur chiffre d'affaires dans des séries françaises). M6 aurait ainsi consacré 29 % de son CA en 1992 dans des productions nationales, 25 % en 1993 et aurait engagé dans ce domaine 220 millions de francs en 1994. Le résultat : des séries 100 % tricolores comme « Ange Espérandieu », l'histoire d'un curé loubard, ou « Quatre filles formidables », la saga d'une bande d'infirmières, des coproductions avec le Canada (« Croc-Blanc ») ou les États-Unis (« Highlander »), et des collections « faits de société », avec « Combats de femmes » ou « Brigade des Anges », reprise de « Mystères ».

Hurle avec les loups

Le glossaire audiovisuel s'est enrichi cette année d'un terme nouveau, « docu-drama », un mot à prononcer en se pinçant le nez tout en se frottant les mains. Car, si le docu-drama ne sent pas bon, il fait de l'audience. Son principe est simple. Il suffit de prendre un fait divers ou un fait de société si possible nauséabond mais largement médiatisé et d'en tirer une fiction le plus réaliste possible tout en affirmant que « toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé serait pure coïncidence ». TF1 a inauguré le genre, le 5 septembre, en proposant « Le chasseur de loups », directement inspiré de la prise d'otages à la maternelle de Neuilly en 1993, par Érick Schmitt. Avec un réalisme saisissant, cette « fiction brute », selon l'appellation après coup de la chaîne, retraçait un fait divers qui tint la France en haleine pendant deux jours et qui se termina par la mort du preneur d'otages ; mort faisant encore l'objet d'une information judiciaire après la plainte pour homicide volontaire déposée par la famille Schmitt. La diffusion de ce téléfilm d'une qualité sommaire, qui a réuni 7 millions de téléspectateurs, souleva l'indignation de l'institutrice héroïne de la maternelle, mais aussi celle du député RPR Pierre Lellouche qui interpella les ministres de la Culture et de la Justice en vue d'instituer par décret un « contrôle éthique de la télévision ». Et alors que débutait cette polémique, on apprenait que Canal Plus préparait un docu-drama, « Facteur VII », sur l'affaire du sang contaminé. Le scénario écrit par deux jeunes auteurs, Bruno Dega et Stéphane Giusti, a été lu par des médecins, des politiques et « vissé » par des avocats, selon Hervé Chabalier, le P-DG de l'agence Capa qui finance le projet. « Nous pensons, affirme celui-ci, que ce genre de fiction, en s'en tenant à une absolue rigueur dans les faits, peut aider à la compréhension des rouages de notre société. » Argument réfuté par Pierre Lellouche, qui condamne non pas « Facteur VII », mais cette « fausse-vraie fiction ». « Il ne s'agit avec ces docus-drames, estime le député, que de faire de l'audimat, en exploitant, si possible à chaud, des situations dramatiques. »

Au-delà des arguments moraux, on peut se demander comment la télévision ou le cinéma peuvent faire tenir dans leur format obligatoirement réducteur des faits que la justice, lors des procès, met des heures et des jours à décortiquer. Le plus souvent, ces œuvres ne sont qu'une mise en images de l'écume des événements telle qu'elle apparaît dans la presse. Il serait, par exemple, étonnant qu'une fiction sur le sang contaminé apporte un éclairage, même fictif, sur les implications financières de l'affaire, que la justice elle-même n'a pu mettre à jour. Là aussi, une instruction est en cours...