Panorama

Introduction

Premier président socialiste depuis trente-cinq ans, François Mitterrand est également le premier président de la Ve République à avoir été réélu par le suffrage universel. Le vote des Français, le 10 mai 1981 et le 8 mai 1988, pourrait laisser croire à une grande stabilité du corps électoral. En fait, ces deux succès recouvrent une réalité forte différente. En sept ans, le centre de gravité du pays s'est déplacé vers la droite : le pôle modéré, à gauche, s'est renforcé, aux dépens du PC ; le pôle le plus dur, à droite, s'est accru du poids de l'extrême droite. Ce glissement se retrouve dans les évolutions idéologiques de l'opinion, en particulier dans la place qu'occupe l'entreprise, reconnue non plus comme lieu d'exploitation mais comme lieu de la production et de la performance. Il doit être immédiatement corrigé par l'attachement des Français à leur système de protection sociale, et, plus largement, à leurs acquis sociaux.

Des deux candidats du second tour, c'est en effet François Mitterrand qui a su le mieux se placer au point d'équilibre de la société – c'est-à-dire au centre d'une France « mitterrando-barriste » –, tandis que Jacques Chirac persistait à croire à une France « chiraquo-barriste ». « France au centre, votes socialistes », a d'ailleurs résumé Jérôme Jaffré, directeur des études politiques de la SOFRES, expliquant ces derniers par l'effondrement des candidats de la droite modérée (Raymond Barre et Jacques Chirac) et par la poussée favorable au champion de l'extrême droite. François Mitterrand, lui, s'est certes présenté comme le suzerain naturel du camp progressiste, mais il en a gommé les arêtes, jusqu'à incarner le mieux la modération et l'ouverture.

Ce mot magique – l'ouverture –, leitmotiv de la campagne du candidat Mitterrand, a dominé les débats du printemps et la constitution du premier, puis du second gouvernement de Michel Rocard, composé pour moitié de membres socialistes, pour moitié de non-socialistes issus soit de l'ancienne majorité (Jean-Pierre Soisson, Michel Durafour, Lionel Stoléru), soit de la « société civile » (Alain Decaux, Roger Bambuck, Pierre Arpaillange). Sitôt réélu, le président avait en effet appelé à Matignon celui qui, jusqu'au mois de mars, avait espéré porter les couleurs du PS, et prononcé la dissolution de l'Assemblée nationale. Mais, après des élections organisées à l'improviste et une campagne menée à la hâte par Michel Rocard, le Parti socialiste ne parvint pas à égaler son record historique de juin 1981 et dut se contenter d'une « majorité relative », plaçant le gouvernement dans l'obligation de se concilier tantôt les bonnes grâces des élus communistes, tantôt celles des élus centristes, regroupés dans la toute nouvelle Union du centre.

Les élections du printemps ont, en tout cas, marqué un tournant institutionnel, mais elles n'ont pas réussi à clarifier la situation politique.

Après deux ans de « cohabitation » entre un président de gauche et un Premier ministre de droite, la question de l'équilibre des institutions était posée. Traditionnellement déséquilibrées au profit du pouvoir exécutif et plus particulièrement du chef de l'État, elles ont dû leur survie à leur souplesse. À ceux qui lui proposaient de réformer le texte constitutionnel pour mettre fin à la dualité de l'exécutif, le général de Gaulle avait, dit-on, en tirant sur ses bretelles, répondu qu'il fallait garder au texte de 1958 « toute son élasticité ». C'est sans doute celle-ci qui a permis le déroulement de la cohabitation, marquée par le recul du pouvoir présidentiel et l'affirmation des pouvoirs du Premier ministre fondée sur l'application à la lettre du fameux article 20, qui dispose que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Après cette expérience et au vu des premiers mois du gouvernement Rocard, il est clair que la voie choisie est celle du passage progressif d'une présidence absolue à une présidence « relative » (le gouvernement disposant d'une latitude d'action, inconnue jusqu'alors, et proche de celle de M. Chirac). Celle-ci paraît en effet mieux correspondre aux aspirations dominantes du moment et à celles du chef de l'État.