Quatre mois auparavant, deux autres Estoniens, Mart Niklus, 46 ans, biologiste, et Juri Kukk, 40 ans, électrochimiste, arrêtés en mars et avril 1980, avaient été respectivement condamnés à dix et deux ans de camp de travail pour « calomnies antisoviétiques ». Le second d'entre eux n'accomplira pas entièrement sa peine : victime des suites d'une grève de la faim, il meurt en prison.

La chasse aux nationalistes s'exerce aussi en Lituanie et en Ukraine où plusieurs contestataires sont arrêtés. À Tbilissi, capitale de la Géorgie, des manifestations groupant un millier d'étudiants ont lieu les 23 et 30 mars 1981 devant le siège du Soviet suprême géorgien, pour protester contre la « russification » de l'enseignement. Plusieurs personnes sont interpellées, mais vite relâchées : Moscou craint l'extension du mouvement.

Cette inquiétude n'est pas perceptible face aux autres mouvements dissidents. C'est ainsi que les groupes de surveillance de l'application des accords d'Helsinki, fondés en 1976 et disséminés en Arménie, Géorgie, Ukraine et Lituanie, sont peu à peu décimés avec l'arrestation des militants les plus connus : Tatiana Velinakova, Alexandre Lavout, Malva Landa, Tatiana Ossipova.

Asiles

La lutte contre les membres de la commission d'étude sur l'utilisation de la psychiatrie à des fins politiques est encore plus efficace : le mouvement n'a plus un seul militant en liberté. Le dernier d'entre eux, Alexandre Serebrov, est arrêté le 9 janvier. Même observation à l'égard des syndicats libres chez qui les succès de Solidarité ont évidemment fait naître un formidable espoir. Leurs adhérents sont en asile psychiatrique ou, tel Vladimir Borissov, exilés en Occident.

Les écrivains non conformistes sont logés à la même enseigne : les principaux rédacteurs du Samizdat (chronique des événements courants) et de la revue Poïski (Recherches) sont en prison et trois écrivains réputés, Vladimir Voïnovitch, Vassili Axionov et Lev Kopelev, sont expulsés et, pour les deux derniers, déchus de la citoyenneté soviétique.

Autocritique

La répression n'épargne pas les dissidents religieux, orthodoxes, adventistes, pentecôtistes et baptistes. Les premiers sont doublement affectés par l'arrestation du père Gleb Yakounine, fondateur du comité de défense des croyants condamné le 28 août 1980 à cinq ans de camp, et par le « repentir » de plusieurs de ses membres qui, suivant l'exemple du père Dimitri Doudko, font leur « autocritique » à l'issue de leur procès, bénéficiant ainsi de la liberté.

On note enfin un durcissement à l'égard des Juifs, dont l'émigration se ralentit considérablement : 21 000 visas seulement accordés en 1980 contre 50 000 en 1979.

Quant à l'antisémitisme, la Pravda des pionniers (8 millions d'exemplaires à destination d'enfants de 9 à 14 ans) en donne un exemple éloquent dans un article publié en mars 1981. On peut y lire notamment : « La majorité des monopoles fabriquant des armes sont contrôlés par des banquiers juifs. Le business avec le sang leur rapporte des bénéfices énormes. »

Durement secoué par les événements polonais, le Kremlin continue de donner néanmoins sur le plan intérieur l'image rassurante de la stabilité, voire de l'immobilisme du pouvoir, particularité dominante de l'ère Brejnev.

Ce dernier fête ses 74 ans le 19 décembre 1980. Au bord de l'épuisement il y a un an, miné par un mal qui alourdit sa démarche, fige ses traits, atteint son élocution, il effectue, en quelques mois un spectaculaire rétablissement physique, affermissant encore sa prise sur un pouvoir qu'on croyait devoir lui échapper.

Après la mort, le 18 décembre, d'Alexis Kossyguine, ancien chef du gouvernement qui participait depuis 41 ans au pouvoir, et la disgrâce, en 1977, de Nikolaï Podgorny, chef de l'État, Leonid Brejnev reste le seul survivant politique de la troïka qui prit le pouvoir au lendemain de la chute de N. Khrouchtchev.

Promotions

Sa position est d'autant plus renforcée que non seulement le nouveau président du Conseil, Nicolaï Tikhonov, 76 ans, est depuis longtemps l'un de ses protégés, mais encore, à l'issue du XXVIe Congrès du PC (23 février-3 mars 1981), on observe la promotion d'une dizaine de proches du secrétaire général.