Il s'appelle économie en baisse, relations difficiles avec les États-Unis, Afghanistan rebelle et cher à conquérir. Il s'appelle surtout Pologne, qu'« on n'abandonnera jamais dans le malheur », mais dont l'évolution peut faire craindre le pire : car ce ne sont plus seulement les ouvriers qui réclament et obtiennent un peu plus de liberté, mais les militants de base du parti lui-même ! Le ver est-il vraiment dans le fruit et l'excision deviendra-t-elle nécessaire pour étouffer la révolution polonaise comme on avait normalisé le Printemps de Prague ? Douze mois après les premiers événements de Gdansk, la question reste d'actualité.

Inquiète à plus d'un titre, l'URSS suit avec une attention soutenue les événements polonais et, tout en protestant de sa volonté de laisser la Pologne régler elle-même ses problèmes, rappelle en permanence à Varsovie les limites à ne pas dépasser : le régime socialiste et le rôle dirigeant du parti (le POUP) doivent être maintenus, les obligations découlant du pacte de Varsovie respectées.

De l'attentisme à la dramatisation, en passant par les menaces, le Kremlin évolue au fil des semaines sans qu'on sache si l'intervention directe relève ou non du domaine des hypothèses.

Alors que les grèves se multiplient en Pologne, fin juillet 1980, Edward Gierek, numéro un polonais pour quelques semaines encore, rencontre Leonid Brejnev en Crimée. Principal sujet des conversations : la situation intérieure de la Pologne. Elle embarrasse suffisamment le Kremlin pour qu'il attende la fin août pour sortir de sa réserve et, après avoir condamné « les ingérences occidentales », dénoncer pour la première fois l'action des « éléments antisocialistes » qui rêvent de détacher la Pologne du bloc socialiste.

Inquiétude

Le brouillage systématique des émissions en russe des trois radios occidentales, écoutées par 40 à 60 millions de Soviétiques, en dit long sur les inquiétudes que suscite la crise.

Après la signature des accords de Gdansk (31 août), le ton monte. La Pravda, qui admet la difficulté des décisions à prendre pour Varsovie, rappelle que ces dernières « doivent tenir compte non seulement des implications économiques mais aussi d'autres conséquences éventuelles ». La menace est d'autant plus lourde que la formulation est floue.

Moins vague est la teneur du message de L. Brejnev au successeur de E. Gierek, Stanislaw Kania. Il lui demande purement et simplement « le retour à la normale dans les plus brefs délais ». Pour l'aider dans sa tâche Moscou accorde un nouveau crédit qui porte à 690 millions de dollars le montant total des prêts soviétiques.

Mais, devant la lenteur de la normalisation — qui pour le Kremlin doit se traduire par la cessation, des grèves, la limitation des droits des syndicats indépendants et la reprise en main du parti —, les dirigeants soviétiques manifestent une impatience et une irritation croissantes

Convoqués

Tandis que Washington, qui signale des mouvements de troupes inhabituels aux frontières de la Pologne, fait savoir à l'URSS que « la prudence est nécessaire », Moscou accuse dans la Pravda « les ennemis de la Pologne populaire » de vouloir « refaire la carte de l'Europe » et, citant abondamment Lénine, rejette catégoriquement la notion de syndicats libres.

Le 30 octobre 1980, alors qu'on ignore encore si la Cour suprême de Varsovie va, ou non, enregistrer les statuts de Solidarité et que la tension augmente, Stanislaw Kania et le Premier ministre Jozef Pinkowski sont convoqués à Moscou pour « une rencontre amicale de travail ».

Leonid Brejnev, qui les reçoit en compagnie du président du Conseil des ministres Nicolaï Tikhonov, exprime sa certitude que « la Pologne saura surmonter seule ses difficultés », mais pour les observateurs — qui se souviennent encore des visites, d'« amitié » elles aussi, des dirigeants du Printemps de Prague pendant les six premiers mois de 1968 — il ne fait pas de doute que cette convocation impromptue est un nouvel avertissement du Kremlin.

D'autant que les Soviétiques réunissent à Moscou un mois plus tard, le 5 décembre, tous les dirigeants des États membres du pacte de Varsovie (autre similitude avec le Printemps de Prague). S. Kania y obtient un nouveau répit, mais on ne manque pas de souligner urbi et orbi que « la Pologne était, est et restera un État socialiste, un maillon solide de la famille socialiste ».

Dénonciation

L'affirmation, par les signataires du communiqué final, de leur volonté de poursuivre une politique de détente avec l'Ouest rassure quelque peu les observateurs qui, peu de jours avant, ont appris le rappel de réservistes de l'armée rouge, la mise en état d'alerte maxima de 30 à 35 divisions soviétiques, la fermeture aux étrangers des villes telles que Minsk ou Vilnius, proches de la frontière, et ont entendu le nouvel avertissement de Washington : « Une intervention soviétique aurait les conséquences les plus sérieuses. »