En quelques jours, la Grande-Bretagne est paralysée : les usines et les magasins ne sont plus ravitaillés, les hôpitaux ne prennent plus les malades, les cimetières ne reçoivent plus les morts, l'eau est coupée dans certaines régions. Partout, les piquets de grève font la loi. Grèves particulièrement pénibles par un hiver rigoureux et choquantes parce qu'elles touchent à la vie quotidienne de chacun. La grande centrale syndicale britannique, le TUC, débordée par sa base, ne peut pourtant qu'avaliser les grèves. Le gouvernement, pour ne pas mettre le feu aux poudres avec des mesures de réquisition, ne peut qu'attendre, avant de céder.

La vague passée, Jim Callaghan tente encore de recoller les morceaux de sa politique des revenus qui vient de voler en éclat. Mais le concordat qu'il conclut avec les syndicats ne convainc personne. Son échec est patent. Les travailleurs britanniques en ont assez des sacrifices, et l'opinion est irritée par les excès des piquets de grève et du pouvoir syndical.

Parlements locaux

C'est dans cette atmosphère de défaite que survient l'affaire de la dévolution. Triste épilogue d'une opération qui avait pour objectif de souder aux travaillistes les nationalistes écossais et gallois. Le projet de dévolution — c'est-à-dire de régionalisation —, difficilement voté par les Communes en 1978, prévoyait la création à Édimbourg et à Cardiff de parlements locaux auxquels seraient dévolus certains pouvoirs. Mais les adversaires de la réforme — conservateurs alliés pour l'occasion à certains travaillistes — avaient obtenu que la loi ne soit appliquée qu'après avoir été soumise à un référendum en Écosse et au pays de Galles, le « oui » devant recueillir 40 % des voix des inscrits.

Les deux référendums ont lieu le 1er mars, dans l'indifférence. Le « oui » n'obtient que 20,3 % des voix au pays de Galles (11,8 % des inscrits), 51,6 % en Écosse, mais seulement 32,5 % des inscrits. Nouvel échec pour Jim Callaghan, d'autant plus grave que les nationalistes écossais, dont les voix faisaient l'appoint aux Communes, retirent leur soutien au gouvernement. Celui-ci pourrait survivre en acceptant l'appui des Unionistes ulstériens, les protestants d'Irlande du Nord, conduits par l'ultra-conservateur Enoch Powel. Mais le Premier ministre refuse cette alliance contre nature.

Coup de grâce

Dès lors, le gouvernement est à l'agonie. Margaret Thatcher peut lui porter le coup de grâce. La motion de censure conservatrice est votée le 28 mars par une voix de majorité. C'est la première fois depuis 1934 qu'un gouvernement britannique est renversé par un vote du Parlement. Jim Callaghan démissionne. Sa popularité reste néanmoins intacte, bien supérieure à celle de son tombeur. Les électeurs, pourtant, ne redonneront pas leur confiance aux travaillistes. La lassitude est trop grande. La victoire des conservateurs, le 3 mai, est surtout l'expression d'une révolte, d'un ras le bol général :
– devant la fiscalité, la plus lourde d'Europe (33 % pour les bas salaires, 87 % pour les hauts revenus). L'État providence a fini par dévorer le contribuable anglais, la crise ajoutant ses charges (chômage, soutien aux industries) à celle du budget social. En promettant une réduction immédiate des impôts directs, Margaret Thatcher était sûre de faire mouche ;
– devant les excès du « pouvoir syndical » que les Anglais ont particulièrement ressentis pendant les grèves de l'hiver. En légalisant les piquets de grève, et surtout le monopole syndical dans l'entreprise — ce que l'on appelle le closed shop, qui oblige un ouvrier à prendre sa carte syndicale pour être embauché —, le gouvernement travailliste a largement contribué à développer ce pouvoir syndical. Une bonne partie de l'opinion le lui reproche. Dans ce climat, les promesses de Margaret Thatcher de revenir sur ces privilèges ne pouvaient que rencontrer un écho favorable ;
– devant la montée de la violence. La criminalité, comme dans toute l'Europe, s'est considérablement développée avec la montée du chômage. L'absence de toute solution politique en Irlande a conduit en outre à une recrudescence du terrorisme. Là aussi, les plaidoyers de Margaret Thatcher en faveur de l'« ordre » et de la « loi » ont trouvé facilement une audience.

Programme de combat

Le nouveau Premier ministre a également promis de rendre sa place à la libre entreprise et de « rétablir l'équilibre en faveur de l'individu contre l'État ». Elle veut aller vite en besogne. En 24 heures, elle constitue son gouvernement. Là encore, elle surprend. On croyait qu'elle allait s'appuyer sur les tenants de l'ultradroite. En fait, elle dose très classiquement ses choix. Elle exclut, certes, Edward Heath, dont la modération lui paraît suspecte et l'autorité encore dangereuse. Mais elle confie l'Intérieur à son ancien bras droit, William Whitelaw, et nomme un modéré, lord Carrington, aux Affaires étrangères. Elle place un homme de dialogue à l'Emploi, James Prior. Ses amis ultras occupent néanmoins des postes clefs : sir Keith Joseph à l'Industrie, sir Geoffrey Howe à la Trésorerie, en particulier. Et son programme reste un programme de combat.