Quelles sont les causes de cette inadaptation des offres et des demandes ? Il existe, certes, des réticences pour certains métiers, mais c'est surtout l'insuffisance de la formation professionnelle qui est rendue responsable de cette situation. Les manœuvres, ou personnel non qualifié, représentent 64 % des demandeurs d'emploi selon les estimations des services officiels.

Main-d'œuvre facile

Ce à quoi les syndicats répondent que 44 % des jeunes diplômés ne trouvent pas d'emploi correspondant à leur qualification et que les jeunes possédant un CAP se voient proposer des emplois d'OS : « Pour arriver à entrer dans une usine, j'ai dû — dit un de ces jeunes — mettre mon diplôme dans ma poche ; sinon ils ne m'auraient pas pris. »

Il est certain que, dans leur grande majorité, les industriels se sont décentralisés en Basse-Normandie et l'ont fait essentiellement pour trouver une main-d'œuvre facile : une main-d'œuvre rurale, réputée calme, non syndiquée et à qui il était possible d'offrir des emplois sans grande qualification et moins bien payés que dans la région parisienne.

Les espoirs n'ayant pas été entièrement réalisés, force a été de faire appel à la main-d'œuvre étrangère, de plus en plus nombreuse. On dénombre 7 500 travailleurs étrangers pour le seul département du Calvados. Des Nord-Africains, des Portugais et des Turcs sont employés essentiellement dans la métallurgie et le bâtiment. Ils ne rencontrent aucune hostilité particulière de la part de la population, mais sont souvent exploités durement. Exemple : un Nord-Africain travaillant de 7 heures du matin à 19 heures et parfois jusqu'à 23 heures sur le chantier du futur Centre hospitalier universitaire gagne 1 250 F par mois pour 275 heures de travail !

Le logement de ces travailleurs pose des problèmes, car rien n'a vraiment été prévu pour leur accueil et leur hébergement.

Pour toutes ces raisons les problèmes de l'emploi sont au cœur des préoccupations des responsables de l'économie régionale, des partis, des syndicats et des élus. Le conseil général du Calvados a tenu une session extraordinaire sur ces problèmes. Le préfet de la région a tenu une conférence de presse et a fait un exposé devant la CODER pour tenter de démythifier la psychose du chômage qui s'est emparée de l'opinion publique. La presse régionale elle-même accorde une place importante à ces questions et publie de mois en mois un baromètre de l'emploi ; les syndicats, eux, ont lancé une vaste campagne régionale, mais dans l'ensemble les manifestations ont été peu suivies. Un meeting à Caen n'a rassemblé que quelques centaines de manifestants, alors que le nombre des chômeurs est de l'ordre de 3 000 à 4 000 pour la seule agglomération caennaise.

La décentralisation

Cette crise de l'emploi est directement liée au ralentissement de l'expansion économique de la Basse-Normandie. Depuis deux ans, la décentralisation marque le pas. En six ans, de 1962 à 1968, 28 300 emplois nouveaux ont été créés dans le Calvados, soit une moyenne de 4 700 par an. En 1969, 5 900 emplois (record absolu) avaient même été créés. Mais, l'année suivante, il ne devait être créé que 673 emplois seulement. 1971 a marqué une légère reprise : 1 495 emplois ont été créés contre 544 l'année précédente pour les 40 principales entreprises du département ; toutefois il sera certainement difficile de combler le retard.

Cet arrêt de la décentralisation est d'autant plus vivement ressenti qu'il se produit au moment où 18 000 ruraux actifs vont quitter l'agriculture dans les années à venir. Plus grave encore : certaines usines décentralisées connaissent de graves difficultés et menacent même de fermer. C'est le cas des entreprises d'électronique, qui emploient un personnel essentiellement féminin et de nombreux ingénieurs dans leurs laboratoires de recherche.

L'objectif du VIe Plan est de créer 51 000 emplois dans la région : 23 000 dans le secteur industriel et 28 000 dans le tertiaire. C'est dans ce dernier secteur, en effet, que la demande est la plus forte : une offre d'emploi pour douze demandes. C'est la raison pour laquelle Caen vient d'obtenir enfin le bénéfice des primes de décentralisation du tertiaire. En projet : la construction d'un ensemble de 30 000 m2 de bureaux et d'un hôtel qui pourraient employer de 1 000 à 1 500 personnes.

Des projets qui inquiètent

Les projets d'aménagement de la basse Seine et la création, au Vaudreuil, d'une ville nouvelle inquiètent les Bas-Normands. Ils craignent que tous les crédits n'aillent à ces réalisations et que les industriels désireux de se décentraliser ne soient aiguillés vers le complexe de la basse Seine. La Basse-Normandie ne serait plus alors qu'un vaste réservoir de main-d'œuvre aux portes de la capitale et une région touristique à résidences secondaires pour cadres.