Cet emploi dans le Nord, justement, quel est-il aujourd'hui, en cette situation économique tellement controversée ? Combien est révélatrice cette perplexité de tant d'industriels : « On parle de chômage. Moi, je ne trouve personne à embaucher depuis des mois. »

Constatation qu'on refait par les chiffres des demandes et offres d'emploi non satisfaites. Le taux de couverture des demandes par les offres est presque le double, dans le Nord-Pas-de-Calais, de la moyenne nationale : 67,4 % contre 35,5 %. C'est donc que la mutation économique du Nord-Pas-de-Calais va plus vite que les hommes. Il y a, certes, ce marché bouillonnant où l'on est moins chômeur, parfois, qu'en transit d'emploi. Il y a sans doute, aussi, une impossibilité de s'adapter complètement à des changements brutaux et, souvent, imprévisibles. Qu'on observe par le petit bout de la lorgnette le tableau, par activité économique, des demandes et offres d'emploi non satisfaites, en août 1971, dans la métropole du Nord, les chiffres globaux ne permettront guère d'avoir une idée précise de la situation : il y a 1 779 demandes de plus que d'offres. Mais si on regarde de plus près encore, on découvre que, pour la production des métaux et les industries mécaniques, par exemple, les offres sont supérieures de 381 aux demandes, alors que les demandes dépassent les offres de 618 dans le textile. Disparités également si on consulte, pour le même mois, le tableau par qualification : pour les manœuvres, 816 offres et 2 508 demandes. Au contraire, pour les ouvriers professionnels, deux fois plus d'offres que de demandes.

On peut, à partir de ce second exemple, quelque peu extrapoler. La main-d'œuvre du Nord-Pas-de-Calais est, globalement, sous-qualifiée. Même les jeunes sont mal préparés aux mutations : « Que constate-t-on, demande Raymond Gatty, le président régional de la CFTC : 38 % des jeunes quittent l'école depuis la fin de l'obligation scolaire, et sans aucune formation professionnelle. Par ailleurs, 30 % des salariés n'ont aucune qualification ; 7,9 % seulement sont titulaires d'un CAP contre 8,2 % au niveau national. »

Le sud du Nord

Même sous-qualifiée, la main-d'œuvre du Nord répugne de plus en plus à exercer certaines besognes ingrates, pénibles, salissantes, qui sont en outre parfois mal payées. D'où l'importation massive, en certains endroits, de main-d'œuvre étrangère, sans qu'on se soit toujours préoccupé des conditions d'accueil. Roubaix, ainsi, est en train de se faire la réputation de la ville « la plus raciste de France ».

Ainsi la situation de l'emploi dans le Nord ne reste plus aussi insaisissable : « On ne peut plus parler de l'emploi du Nord » s'exclame Michel Montagne, vice-président régional de la CGC, et nombre de responsables d'acquiescer. « C'est en fausser l'étude que de présenter le chômage comme un voile qui recouvre la région uniformément de la même grisaille, de Dunkerque à Valenciennes ou Saint-Pol-sur-Ternoise. » André Glorieux, CFDT, prend le relais : « Les implantations d'usines nouvelles sont insuffisantes par rapport aux salariés disponibles si on veut offrir des emplois intéressants à la main-d'œuvre relevant des secteurs minier et métallurgique, sans omettre, bien entendu, la main-d'œuvre féminine. En revanche, la zone de Dunkerque va connaître une période de suremploi, alors que l'essentiel reste encore à faire. Lorsqu'on sait que ce secteur va recevoir en quelques années 80 000 habitants supplémentaires, on frémit en considérant la faiblesse des équipements collectifs. »

Les clés de l'avenir

Ainsi, à Dunkerque, trop de richesses nuirait, quand, pour Valenciennes et le sud de la région, on parle avec insistance de la suppression de 10 000 emplois. Dans le dernier budget du Conseil général du Nord, les élus communistes ont refusé de voter les crédits pour le port de Dunkerque. On n'a pu s'empêcher de penser, alors, qu'ils étaient tous « du sud », même s'ils assuraient trop haut peut-être que « ça n'avait pas compté » pour eux.

Les pièces du puzzle ne se mettront donc en place qu'après beaucoup de temps, de sueur et de larmes peut-être. Les objectifs prioritaires sont désormais connus. « Je crois d'abord à l'aménagement du territoire », dit le préfet Dupuch. « Je crois d'abord à la formation des hommes », disait naguère le recteur Debeyre. Ce sont sans doute les deux grandes clés qui pourront ouvrir au Nord les portes de l'avenir.

Picardie

Après avoir cessé de se dégrader à la fin du premier trimestre de 1972, la situation du marché de l'emploi dans la région Picardie (Somme, Aisne, Oise) s'est régulièrement améliorée depuis lors : les demandes d'emploi non satisfaites régressaient tandis que les offres progressaient.