– Les demandes d'emploi formulées par des manœuvres et par des employés non qualifiés représentent près de la moitié du total. Ce fait s'explique en grande partie par le caractère moderne de l'industrie haut-normande. Les entreprises récemment installées dans la région — complexe pétrochimique du Havre, construction mécanique et électronique — sont extrêmement automatisées et réclament au moins des ouvriers et des employés qualifiés. De plus en plus le personnel qualifié des usines nouvelles de Haute-Normandie est recruté à Paris et dans la région parisienne.

– La grande spécialisation de ces industries, le manque de recyclage et de formation permanente expliquent également l'accroissement du chômage des cadres et des techniciens, qui a plus que triplé en quatre ans. Ce phénomène atteint tout particulièrement les hommes de plus de 60 ans, mais aussi et surtout les jeunes de 18 à 25 ans récemment sortis des écoles professionnelles. Ainsi, Jean-Bernard Picot, 23 ans, brevet de technicien, mécanicien qualifié, n'a jamais pu travailler. Au cours de la période qui a séparé la fin de ses études du service militaire, ses patrons éventuels refusaient de l'embaucher pour une si courte période. Depuis son retour du service, il n'a pu trouver que des emplois temporaires de manœuvre.

De nombreux jeunes sont dans son cas qui, sans mépriser le travail manuel, refusent néanmoins certains emplois après leurs années de formation professionnelle.

– Pour les jeunes filles, le problème est encore plus aigu. La disparition des activités à emploi féminin traditionnel — filatures, confection — et la mécanisation de certains travaux de précision leur ôtent de nombreuses possibilités d'emploi.

Inférieure à celle des hommes du même âge en 1968, la demande d'emploi des jeunes femmes de 18 à 25 ans est aujourd'hui sensiblement supérieure.

Vers une aggravation

Pour toutes ces raisons, le problème de l'emploi constitue depuis dix ans la préoccupation première des pouvoirs publics. C'est lui qui vient en tête à chaque session des travaux du conseil général. Régulièrement, des grèves, des manifestations de grande ampleur, comme celle qui a rassemblé les ouvriers des papeteries menacés par les concentrations, viennent en rappeler l'acuité. Des efforts incontestables ont été réalisés, notamment par la multiplication des sessions de recyclage, organisées autour de l'Université et par la création d'une antenne de l'Agence nationale pour l'emploi ; mais rien ne pourra être modifié quant au fond tant que la Haute-Normandie restera exclusivement un lieu d'implantation des industries de pointe liées à la pétrochimie. Or, l'implantation d'industries génératrices d'emplois dans le complexe de Fos, alors que nombre d'entre elles étaient précédemment promises au Havre, l'installation d'un nouveau port pétrolier au cap d'Antifer, font courir le risque d'accentuer encore cette évolution.

Partenaires inégaux

La Haute-Normandie est-elle un monstre conçu dans les esprits déments de technocrates parisiens ? C'est ce que pensent en tout cas certains responsables régionaux ; le conseil général de l'Eure en vient même, au cours de sa session du printemps 1972, à demander le divorce avec la Seine-Maritime.

Il est vrai que la Haute-Normandie est curieusement bâtie. Composée de deux départements seulement, la Seine-Maritime et l'Eure, elle possède peu de facteurs d'unité. Toute la partie est du département de l'Eure se trouve placée dans l'orbite parisienne et ignore Rouen, capitale régionale ; à l'ouest, les communications sont, malgré le pont de Tancarville, infiniment plus faciles avec Caen et sa région qu'avec la Seine-Maritime.

En second lieu, les deux partenaires sont de taille par trop inégale : l'Eure, 387 000 habitants, dont plus de 200 000 dans les communes rurales, se sent écrasée par la Seine-Maritime, ses 1 113 000 habitants, son développement industriel et ses centres urbains. Rouen, à elle seule, possède une population supérieure à celle du département de l'Eure.