Le 5 mars 1972, le peuple et les cantons se prononcent. Ils rejettent l'initiative Denner. Ils acceptent, à d'écrasantes majorités, les articles 34 sexies et septies. Et, le jour même, le conseiller fédéral Ernst Brugger, chef du Département de l'économie publique, annonce, fort de ce résultat, un projet d'arrêté urgent, avec effet rétroactif, pour empêcher les hausses de loyers abusives.

Les locataires pourront s'adresser d'abord à des commissions de conciliation, et recourir ensuite auprès du juge ordinaire pour contester les prétentions de leur propriétaire : après une bataille politique d'une longueur et d'une vivacité rares, les partisans d'un contrôle étatique remportent sur ceux du marché libre une victoire spectaculaire.

Drogue

Aucun scandale de grande taille ne se produit. Mais l'inquiétude grandit. Un petit commerce, dont les jeunes sont évidemment les principales victimes, fleurit insidieusement dans certains bistros, et des indices prouvent que, derrière les vendeurs de LSD ou de neige à la petite semaine, des trafiquants avides de francs suisses tentent de créer un marché. Manifestement, la société — les parents, les éducateurs, la police — n'était pas prête à réagir efficacement contre cette agression : 1972 peut être l'année d'un redressement. Ou d'une dangereuse aggravation.

Instruction publique

Tandis que les cantons s'efforcent d'harmoniser leurs programmes scolaires — ce qui provoque de nouveaux conflits entre Bernois et Jurassiens —, le Conseil fédéral propose, en janvier, deux additifs à la Constitution. D'une part, il s'agirait d'y inscrire, pour la première fois, un droit social : proclamer le devoir de l'État d'assurer à tout homme et à toute femme l'enseignement et la formation professionnelle qui conviennent à leurs aptitudes. D'autre part, on étendrait les compétences et les charges financières de la Confédération.

Inflation

Pour la première fois, l'indice du coût de la vie s'emballe véritablement : près de 7 % en douze mois ! Etienne Junod, un représentant du grand patronat, propose de bloquer les prix, les salaires et les dividendes, et de prolonger de quelques heures la durée du travail hebdomadaire. Les syndicats répondent immédiatement : « non ». Mais le gouvernement demande qu'on lui donne enfin la possibilité d'intervenir directement, et au besoin de manière draconienne, dans les rouages emballés de la machine économique.

Le 6 juin 1971, il accepte néanmoins la prorogation du système fiscal en vigueur pour dix nouvelles années. Trois jours plus tard, le conseiller fédéral Nello Celio, chef du Département des finances, annonce que la Banque nationale et les banques privées s'apprêtent à conclure librement quatre conventions en vue de freiner l'afflux de capitaux et de resserrer le crédit. Le lendemain, le Conseil des États ratifie un arrêté urgent qui permet au gouvernement de doucher la conjoncture en pesant sur l'industrie de la construction. Le 21 juin, le Conseil national ratifie à son tour — et renforce — le même arrêté.

Désormais, dans certaines zones urbaines, on ne pourra plus démolir ni construire (HLM et laboratoires de recherche exceptés) sans obtenir les autorisations très parcimonieusement délivrées par Berne. Le 21 juin toujours, le conseiller fédéral Ernst Brugger, dans un discours au Conseil national, présente un projet d'article constitutionnel destiné, pratiquement, à simplifier les procédures de décision : l'exécutif, sous la réserve de l'approbation parlementaire et du référendum éventuel, obtiendrait deux compétences principales :
– celle de modifier le taux des impôts sans tenir compte des besoins financiers de l'État, pour assainir, stimuler ou calmer la conjoncture, à savoir l'ensemble des activités industrielles, commerciales et bancaires ;
– celle d'obliger les cantons et les communes à restreindre leurs dépenses, en tout cas à les prévoir à plus long terme.

Sur quoi le Conseil fédéral fait approuver aux Chambres un arrêté urgent sur la sauvegarde de la monnaie... et, le 26 octobre 1971, leur soumet, pour l'année 1972, un budget de 10 milliards de francs, somme jamais atteinte et qui reflète l'accroissement des charges de l'État central en même temps que le coût, bientôt démentiel, de l'équipement d'un pays de dimensions pourtant modestes.