Une telle éventualité paraît exclue à la fin de juin 1971. Le gouvernement de Bahreïn, indiquait-on à Manama, proclamerait l'indépendance de l'émirat. Qatar s'apprêtait à en faire de même. Les deux autres grands de la future fédération — Abou Dhabi et Dubaï — étaient loin d'être d'accord sur l'avenir politique et économique des cinq petits de la côte de la Trêve (Trucial Coast of Oman).

Tout avait pourtant été mis en œuvre pour favoriser l'union, jugée indispensable à la protection de la région, richissime en ressources pétrolières, contre la subversion intérieure et les convoitises étrangères. La déposition du souverain d'Oman, le sultan Said Ben Taimur, le 23 juillet 1970, écartait un obstacle de taille à l'évolution souhaitée par Londres. Quatre jours plus tard, le 27 juillet, le gouvernement anglais désignait son ambassadeur itinérant, sir William Luce, pour prendre contact avec les divers émirats ainsi qu'avec les puissances du golfe — Iran, Koweit, Arabie Saoudite et éventuellement l'Irak — afin de dégager une formule d'union acceptable par tous.

Sir William entreprenait, entre août 1970 et février 1971, trois tournées, qui devaient se révéler infructueuses. Tout autant que les réunions de travail que tiennent les représentants des neuf émirats à Abou Dhabi à partir du 26 octobre. Les délégués n'ont pu s'entendre sur les termes d'une constitution fédérale. Bahrein, dont la population (de 200 000 habitants) représenterait la moitié de celle de la fédération projetée, insiste pour que les sièges de la future Assemblée soient répartis sur la base d'une représentation proportionnelle. Qatar dénonce les « ambitions démesurées » de son voisin, tandis que les plus petits émirats ne veulent entendre parler que d'une représentation égalitaire.

En réalité, aucun des souverains concernés n'entend sacrifier sa liberté d'action sur l'autel de l'union ; les plus riches parmi eux ne veulent pas contribuer au développement des principautés démunies de ressources, à moins d'être assurés d'une certaine hégémonie politique ; les plus puissants (c'est le cas d'Abou Dhabi) visent à conserver leurs propres forces armées, afin de ne pas dépendre de troupes fédérales qui échapperaient, en partie, à leur contrôle.

Outre les ambitions étatiques, les rivalités personnelles et les disparités de développement économique et politique, les convoitises étrangères compliquent encore plus la situation. Si les visées des grandes puissances — Grande-Bretagne, États-Unis, URSS et Chine populaire — ne sont pas toujours manifestes, ou avouées, les revendications territoriales des puissances moins grandes constituent autant d'obstacles à une entente. L'Iran, notamment, déclare s'opposer à la fédération aussi longtemps que ses droits ne sont pas reconnus sur les îles de Tumb et d'Abou Moussa.

L'Arabie Saoudite ne renonce pas à ses prétentions sur l'oasis de Boureimi, intégrée au territoire d'Abou Dhabi. L'Irak ne veut annexer aucun territoire, mais entend que la région n'échappe pas à l'aire d'influence du nationalisme arabe. Le soutien politique et économique que Bagdad accorde à l'émir de Ras El Kheima et, dit-on, l'aide matérielle fournie à des groupes de guérilleros font du régime baasiste d'Irak un facteur politique non négligeable dans le golfe. L'Iran, pour faire contrepoids à cette influence, fait cause commune avec le Koweit et l'Arabie Saoudite. La République arabe unie et la Syrie, probablement avec le soutien de l'URSS, appuient la création de la fédération, mais laissent entendre que celle-ci devrait être « dégagée de toute influence étrangère » si elle souhaitait — ce qui est plus que probable — adhérer à la Ligue arabe.

Face à toutes ces manœuvres d'une complexité inextricable, la Grande-Bretagne — qui importe plus de la moitié de ses besoins en pétrole des pays du golfe Persique — est dans une position délicate. Se retirer de la région sans que sa présence soit garantie d'une manière ou d'une autre équivaudrait à un abandon intolérable pour le parti conservateur. Maintenir des bases militaires au-delà de 1971 lui attirerait la réprobation de tous les États de la région, y compris celle des pays amis, tels l'Iran, le Koweït et l'Arabie Saoudite. Le second semestre de 1971 s'annonce, à plus d'un égard, décisif.

Bahrein

L'un des quatre grands parmi les émirats du golfe Persique, l'émirat de Bahrein (archipel composé de 33 îles et comprenant quelque 200 000 habitants) parait promis à la souveraineté nationale. Le gouvernement de Manama, en effet, exprime le vœu, à l'automne de 1970, de s'émanciper de la tutelle de Londres. Divers accords, conclus entre 1820 et 1892, avaient transformé Bahreïn en un protectorat britannique. Le Royaume-Uni entretient une base aéronavale dans la plus peuplée des îles de l'archipel et a fait de Manama le siège de son principal représentant dans le golfe Persique, le Political Résident.