Le verdict provoque une vive émotion dans l'opinion. La fraction la plus conservatrice de la population, les parlementaires sudistes, les anciens combattants de l'American Legion crient au scandale. Pour l'ancien sénateur Thomas Dodd (qui faisait partie de la délégation judiciaire américaine au procès des criminels de guerre de Nuremberg) « on ne peut considérer un soldat au combat comme coupable de meurtre avec préméditation, à moins de considérer que toute guerre est un meurtre ».

Les libéraux, pour leur part, se gardent bien d'applaudir à la décision de Fort Benning : à leurs yeux, la culpabilité de Calley ne fait pas de doute, certes, mais le lieutenant a servi de bouc émissaire. Ils reprennent ainsi un argument que l'ancien procureur américain au procès de Nuremberg, le général en retraite Telford Taylor, a exposé dès le mois de janvier : si l'on appliquait à cette affaire les critères utilisés à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les responsables militaires comme le général Westmoreland pourraient se trouver dans la même situation que les chefs de guerre japonais ou allemands en 1945. « Un général doit contrôler la conduite de ses troupes et il doit en être tenu pour responsable. »

La condamnation de Calley peut apparaître d'autant plus insatisfaisante aux uns et aux autres que, depuis l'automne, tous les militaires impliqués dans le massacre de My Lai ont été acquittés ou mis hors de cause. Les charges ont été abandonnées notamment contre le général Samuel Koster, qui aurait étouffé l'affaire en 1968, alors qu'il commandait la division Americal. Celui-ci sera pourtant rétrogradé en mai et privé de toutes ses décorations.

Dès le 29 mars, les télégrammes de protestation affluent à la Maison-Blanche. Cette pression populaire n'est pas vaine : le 1er avril, le président Nixon ordonne, en vertu de ses pouvoirs discrétionnaires, la mise en liberté de Calley « en attendant que toute la procédure de révisions automatiques et d'appels éventuels ait été épuisée ». Ce geste répond, bien entendu, à des préoccupations politiques : Nixon, en prenant sa décision, songe manifestement à donner satisfaction à la partie de l'électorat dont il attend le soutien lors des présidentielles de 1972.

Pourrissement

Quoi qu'il en soit, le mois d'avril marque un tournant : pour la première fois depuis le début de la guerre au Viêt-nam, l'ensemble de l'opinion semble être lasse de ce conflit qui n'en finit pas. Les faucons eux-mêmes sont conscients du pourrissement de la situation en Indochine. L'armée est loin d'être épargnée par le malaise. Des rapports officiels font état du nombre croissant de cas d'insubordination et de rébellion, accompagnés de violences envers des supérieurs : on en a dénombré 209 en 1970, soit deux fois plus que l'année précédente. Les règlements de comptes entre appelés et officiers ont donné naissance à un néologisme, fragging, parce que l'arme le plus souvent utilisée par les GIs contestataires est la grenade à fragmentation.

Selon le Stars and Stripes, organe des forces armées, entre 10 et 25 % des 300 000 soldats qui servent au Viêt-nam se droguent à l'héroïne et des parlementaires commencent à attirer l'attention des autorités sur les difficultés de réadaptation que connaîtront ces milliers d'intoxiqués à leur retour d'Indochine, dans un pays où le problème revêt déjà un caractère inquiétant.

Les anciens combattants, les veterans du Viêt-nam, vont défrayer la chronique en ce mois d'avril en prenant part pour la première fois de façon massive aux diverses manifestations de l'offensive de printemps lancée par un mouvement pacifiste dont l'assoupissement était patent depuis un an et demi. Ces jeunes gens ne représentent certes qu'une infime minorité de la masse des Américains qui ont accompli leur service en Indochine. Mais jusqu'ici la quasi-totalité des GIs démobilisés qui descendaient dans la rue le faisaient pour affirmer leur fierté d'avoir défendu la bannière étoilée et, au besoin, rosser les étudiants chevelus qui mettaient en doute le bien-fondé de leur combat. Jamais encore on n'avait vu de veterans vêtus d'uniformes froissés arracher publiquement leurs décorations comme autant de symboles de honte.

Offensive pacifiste

Les pacifistes parviendront à rassembler plusieurs centaines de milliers de personnes, le 24 avril 1971, à Washington et à San Francisco, succès d'autant plus appréciable pour les dirigeants de la Coalition nationale pour la paix (National peace action coalition) qu'aucun incident violent ne viendra ternir les manifestations.