inégalités sociales

Inégalités de ressources des individus.

Les inégalités dans le monde

L'égalité entre les hommes est proclamée tant par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Or, les écarts de richesse et de développement entre les différents pays du monde sont considérables : près de 80 % des richesses de la planète sont entre les mains de la trentaine de pays les plus riches (soit 20 % de la population mondiale). La majorité des pauvres dans le monde vivent en Asie méridionale (39 %), en Asie orientale (33 % ; essentiellement en Chine et dans le Sud-Est asiatique) et en Afrique subsaharienne (17 %).

Ces inégalités de revenus rejaillissent l’alimentation et sur la santé, donc sur l'espérance de vie. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, celle-ci est certes passée de 40 ans en 1950 à 65 ans en 2000. Mais, dans les pays industrialisés, elle augmente d’environ un an tous les cinq ans, et atteint de nos jours 80 ans. Par manque de moyens, y compris d'information, la lutte contre certaines maladies n'est pas généralisée : ainsi, le taux moyen de vaccination contre la rougeole à l'échelle mondiale n'est que de 80 % (et d'environ 60 % en Afrique subsaharienne) ; de même, l'épidémie de sida est difficile à enrayer en Afrique noire. Les inégalités de développement ont également des conséquences sur l'éducation (faible taux de scolarisation, analphabétisme) et, plus généralement, sur le droit au bonheur des populations.

L'indice de développement humain (ou IDH) permet d'apprécier, sur le plan humain, l'amélioration des conditions de vie d'un pays. Il prend en compte trois éléments qui représentent pour chaque société des objectifs à atteindre : l'espérance de vie, l'accès à l'éducation et à la culture, le niveau de vie. En règle générale, plus le pays est riche, plus l'IDH est élevé.

L'opposition Nord-Sud

Le « Nord » rassemble les pays développés à économies industrielle et tertiaire qui dominent l'économie mondiale. Les pays de la « Triade » (États-Unis, Union européenne, Japon) sont les plus riches. Dans ces pays, le niveau de vie est élevé, l'espérance de vie approche en moyenne 80 ans, la croissance démographique est faible et la population a tendance à vieillir. Néanmoins, ces pays connaissent des crises économiques (avec un chômage important) et des inégalités sociales persistantes.

Mais la situation est encore plus contrastée dans les pays du « Sud ». Ces pays en développement, caractérisés par une économie à dominante agricole, sont généralement confrontés à des problèmes démographiques (population jeune qu'il est difficile de nourrir, loger et scolariser). Les P.M.A. (ou pays moins avancés), situés majoritairement en Afrique, connaissent de très grandes difficultés (famines, épidémies, analphabétisme). Certains pays en développement ont amorcé leur décollage économique dans les années 1980 et sont devenus les « nouveaux pays industriels (ou industrialisés) » : il s’agit d’abord les « quatre dragons » d'Asie (la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hongkong), suivis des « tigres » de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, les Philippines et la Malaisie). À l'expression « nouveaux pays industriels » s’est substituée celle de « pays émergents » : la Chine, l'Inde et l'Indonésie, de même que des pays latino-américains comme le Brésil et l'Argentine relèvent aujourd'hui de cette catégorie. On distingue également les pays exportateurs de pétrole, qui ont souvent une croissance élevée mais dont l'IDH est faible.

Facteurs et perspectives

Plusieurs explications peuvent être mises en avant pour tenter d'expliquer ces écarts de développement. À des facteurs internes (conditions climatiques, médiocrité des techniques agricoles, conséquences de la domination coloniale, explosion démographique, etc.) s'ajoutent des facteurs externes (inégalité des échanges internationaux, dépendances financière et technique à l'égard des pays industrialisés). Cependant, aucun facteur n'est à lui seul cause de pauvreté et les inégalités de développement découlent de leur accumulation.

Pour remédier à cette situation, les gouvernements des pays riches, l'O.N.U. et ses organismes spécialisés (F.A.O., O.M.S., UNICEF), ainsi que les organisations non-gouvernementales (O.N.G.) mettent en place des projets d'aide et de développement : envoi de nourriture, aide technique… Cependant, cette aide s'avère parfois inadaptée et reste encore insuffisante. En outre, les politiques menées par les institutions monétaires internationales – le Fonds monétaire international, qui accorde des prêts aux pays en développement, et la Banque mondiale, qui leur apporte une assistance technique et financière – sont souvent critiquées en raison de leur inadéquation. Afin de soulager de nombreux pays en développement, grevés par le fardeau de leur dette, des plans sont mis en place afin d’échelonner, voire annuler la dette des pays pauvres les plus endettés.

Les inégalités en France

En France, 10 % des foyers détiennent près de la moitié de la richesse nationale et les 10 % des habitants les plus riches perçoivent 30 % des revenus avant impôt. Si l'espérance de vie, au cours du xxe s., y est passée de 45 ans à 79 ans en moyenne, hommes et femmes confondus, celle des ouvriers de 35 ans est inférieure de 7 ans à celle des cadres du même âge. Les enfants issus des milieux modestes représentent encore moins de 10 % des élèves des quatre plus grandes écoles (Polytechnique, ENS, ENA, École des hautes études commerciales).

Dans les faits, la mobilité sociale ne garantit pas la promotion sociale. Les inégalités nourrissent le sentiment d'insécurité, à la fois chez l'individu en situation de précarité et dans l'ensemble de la collectivité face à la montée de la criminalité. Aussi l'État est-il sollicité pour mettre en œuvre la solidarité et éviter la rupture du contrat social.

Les inégalités économiques

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune », affirme l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Le principe d'une égalité juridique n'a pas supprimé pour autant les disparités matérielles et culturelles. Le constat de ces dernières ainsi que la réflexion sur l'idée d'égalité ont conduit à diverses interprétations des causes des inégalités sociales, et à la conception de moyens visant à les réduire ou à les supprimer.

Les acquis de l’État-providence

Dès ses prémices, la pensée politique moderne a désigné les inégalités économiques comme la manifestation majeure des inégalités sociales et le principal obstacle à l'institution de rapports sociaux égalitaires : s'il n'est pas la seule cause déterminante des inégalités, le montant du revenu monétaire, mesure du pouvoir d'achat, commande directement la qualité des conditions quotidiennes d'existence, notamment celles du logement, de la consommation et de la formation. Sur une longue période, l'objectif de rapprochement des « degrés extrêmes » (entre les classes les plus pauvres et les plus aisées) s'est tendanciellement réalisé par le resserrement de l'éventail des revenus, sous l'effet de trois processus : le développement de luttes ouvrières visant à l'augmentation du salaire ; la révolution industrielle continue, qui a débouché au xxe s. sur l'extension mondiale d'un système de production et de consommation de masse, le fordisme, entraînant une démocratisation de l'accès à certains biens et à certaines pratiques ; enfin, la formation, dans les sociétés développées, d'un État providence qui assure une forme de redistribution des richesses – par le biais de la fiscalité et la mise en place de la sécurité sociale (prestations familiales, assurance-maladie, retraites) et de l'assurance-chômage, à quoi s'ajoute l'instauration d'un salaire minimum garanti.

L'inégalité devant le travail

En dépit de ce progrès objectif, les inégalités économiques dans la France de la fin du xxe s. non seulement perdurent, mais, pour une partie croissante de la population, s'aggravent de façon alarmante, à l'encontre de l'exigence posée par Rousseau que « nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre ». Une misère moderne est née, que désigne l'euphémisme de « grande pauvreté », conséquence d'un chômage de masse, frappant environ trois millions d'individus, et qui traduit une accentuation de l'inégalité devant l'emploi, la qualification, l'enseignement. Les économistes parlent de « marché dual du travail » ; les journalistes, de « société à deux vitesses ».

Si elle produit ainsi une nouvelle population d'exclus, l'inégalité devant le travail apparaît aux travailleurs eux-mêmes comme l'inégalité fondamentale, que les disparités de revenus ne font sans doute que refléter : le travail constitue la source principale des revenus, en dépit de l'importance croissante des revenus sociaux ; les formes de travail sont inégalement pénibles ou gratifiantes, et le travail le plus rebutant est souvent le plus faiblement rémunéré ; enfin, le travail distingue celui qui l'exerce (« paysan » peut être un terme péjoratif, mais non « docteur »). Pour ces raisons, l'inégalité devant le travail est le véritable fondement de la stratification sociale.

Cumul et reproduction des inégalités

Des inégalités qui s'additionnent

Rousseau énonçait déjà, dans sa théorie des inégalités, que celles-ci tendent à se cumuler comme se cumulent les privilèges. Et il est vrai que, le plus souvent, ceux qui bénéficient le moins des avantages de la société de consommation vivent dans les habitations les moins confortables et sont également écartés le plus tôt du système éducatif ; ce sont eux qui basculent le plus facilement dans la délinquance et la criminalité, eux encore que police et justice privent de liberté avec le plus d'empressement. Ils sont enfin les premières victimes de l'inégalité devant la santé – l'on observe chez eux une moindre fréquence des actes médicaux et des consultations de spécialistes –, et devant la mort, comme le montrent les différentiels d’espérance de vie entre les catégories [profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS)] extrêmes : un homme de 35 ans a une espérance de vie moyenne de 39 années s'il est ouvrier, et de 46 s'il est professeur.

La « transmission des inégalités »

D'autre part, même si les inégalités ne se transmettent pas exactement comme une part de capital, la sociologie contemporaine a mis en lumière les mécanismes qui tracent, pour les individus des itinéraires analogues à ceux de leurs pères dans le champ de la vie professionnelle et culturelle. Ce phénomène de reproduction, qui paraît obéir à des règles purement économiques, se produit en réalité de façon déterminante dans le champ culturel, principalement le système éducatif. L’école moderne apparaît ainsi comme l'institution la plus appropriée à la lutte contre les inégalités sociales, tout en contribuant à les reproduire.

Les travaux de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron, les Héritiers (1964) et la Reproduction (1970), ont levé ce paradoxe en portant au jour les mécanismes par lesquels l'institution scolaire transforme en mérite ou en don le capital culturel dont héritent les enfants des classes favorisées, contribuant ainsi, par un fonctionnement apparemment démocratique, à reproduire le clivage entre les « héritiers » et les déshérités et, par là, à perpétuer les inégalités initiales de chances devant la culture. En évaluant de manière formellement égale les aptitudes d'enseignés socialement inégaux, l'école méconnaît, ou néglige volontairement, mais aussi consolide, les disparités de compétences acquises dans la famille : de la sorte, elle « confère aux privilégiés le privilège suprême de ne pas s'apparaître comme privilégiés », tandis qu'« elle parvient d'autant plus facilement à convaincre les déshérités qu'ils doivent leur destin scolaire et social à leur défaut de dons ou de mérites. »

Par ailleurs, des sociologues comme Talcott Parsons s'efforcent de mesurer et d'interpréter la mobilité sociale, qui traduit la rigidité ou l'ouverture des sociétés.

« C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité, que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir », écrivait Rousseau. Aussi la démocratie exige-t-elle de ses membres de composer, dans une société inégalitaire, une communauté des égaux, dans laquelle ils peuvent, dans leur affrontement même, se reconnaître comme des humains.