Au départ, McGovern possède des atouts considérables. S'il a obtenu l'intronisation démocrate, c'est grâce, en grande partie, au soutien enthousiaste des innombrables jeunes partisans qui lui ont permis de bousculer les principaux favoris de sa formation, Edmund Muskie et Hubert Humphrey. Ses prises de position sans équivoque contre la guerre au Viêt-nam, l'injustice sociale, la discrimination raciale, les disparités fiscales répondent certainement à l'attente de millions de ses concitoyens. Déjà, on évoque à son propos 1932, Franklin Roosevelt, le New Deal.

Mais si les idées du sénateur ont séduit beaucoup de gens, elles en ont effarouché un nombre plus grand encore. Pas seulement, comme c'était logique, les éléments les plus conservateurs des classes moyennes ou les vieux routiers de la machine de son parti, mais aussi les responsables des appareils syndicaux.

Les indiens de Wounded Knee

Le 27 février 1973 au matin, quelque 200 Indiens en armes occupent un village du Dakota du Sud, Wounded Knee, théâtre, 82 ans plus tôt, d'un massacre de Sioux commis par la cavalerie américaine. Les responsables de cette opération désavouée par les chefs de tribus appartiennent pour la plupart à l'AIM (American Indian Movement), organisation de jeunes activistes qui, en novembre déjà, avaient investi et mis à sac le siège du Bureau des affaires indiennes.

Le but de ces adeptes du Red Power (Pouvoir rouge) est d'attirer l'attention de l'opinion sur les conditions d'existence, souvent difficiles, de la plus grande partie des Fils de la Prairie. Bon nombre de ces derniers – qui seraient aujourd'hui, selon les statistiques, entre 600 000 et un million aux États-Unis – vivent encore dans de pauvres réserves situées sur des terres incultes ou des montagnes arides. Leur revenu annuel est deux fois inférieur à celui de l'ensemble des Américains. Les rebelles de Wounded Knee rendront leurs armes aux autorités fédérales le 8 mai, non sans avoir perdu deux des leurs au cours de fusillades avec les policiers.

Eagleton

McGovern peut-il espérer, en moins de quatre mois, rallier les hésitants, rassurer les modérés effrayés par son progressisme, se faire mieux connaître du peuple américain qui, dans sa majorité, ignorait jusqu'à son nom quelques semaines plus tôt ? C'est dans l'ordre du possible.

Sa campagne va s'ouvrir sous de mauvais augures. Le porte-drapeau du parti de l'Ane fait, lors de la malheureuse affaire Eagleton, un premier faux pas dont il ne se remettra jamais. Son co-listier – qu'il a, semble-t-il, choisi un peu précipitamment – admet, le 25 juillet, avoir dû être soigné autrefois pour dépression nerveuse. Le sénateur du Dakota du Sud s'écrie alors : « Je suis derrière lui à mille pour cent. » Quelques jours plus tard, pourtant, il revient sur sa décision et renonce à garder Eagleton pour second. La longue série de refus qu'il essuie les jours suivants de la part d'une demi-douzaine de figures de proue du parti démocrate pressenties pour le poste de candidat à la vice-présidence est, elle aussi, habilement exploitée par ses adversaires.

Aux yeux de nombreux Américains, désormais, McGovern est un individu indécis, peu sûr de lui, inapte à assumer la tâche écrasante qu'il postule. Les concessions qu'il est amené à faire à propos de son programme, notamment en matière de fiscalité, loin de lui valoir de nouvelles sympathies, vont les conforter dans leur opinion. Non sans provoquer un certain désenchantement parmi ses plus chauds partisans.

Indochine

Hostile depuis de longues années à la politique menée par son pays dans le Sud-Est asiatique, McGovern avait affirmé qu'il voulait « refermer les portes de la guerre », qu'il mettrait fin aux « bombardements insensés » le jour de sa prise de fonctions et qu'il procéderait à « un retrait complet et immédiat » de toutes les forces américaines d'Indochine.

Sur cette question fondamentale, Nixon va parvenir à damer le pion à son rival. Le 10 octobre fut peut-être à cet égard une date décisive. Ce jour-là, McGovern devait dénoncer à la télévision la politique vietnamienne du gouvernement Nixon et commenter son propre plan de paix. Moins de deux heures plus tôt, la Maison-Blanche annonçait que Henry Kissinger avait entamé des conversations secrètes avec ses interlocuteurs nord-vietnamiens. Les déclarations de McGovern s'en trouvèrent éclipsées.