Ces mesures sont cependant dictées moins par un quelconque souci idéologique que par la nécessité d'apaiser une opinion dont le mécontentement va grandissant tant pour des raisons sociales que politiques.

Conscient de ce problème, hérité en grande partie de l'ère de Nasser, le président Sadate — tout en promettant une issue au conflit israélo-arabe — avait procédé à une relative libéralisation du régime sur les plans économique et politique. Après avoir annoncé, le 26 juillet, qu'il ne briguerait pas un second mandat présidentiel, il avait fait élire le 27 octobre une nouvelle Assemblée nationale, adopter une Constitution permanente par référendum le 11 septembre 1971 (à 99,98 % des voix exprimées), libérer tous les prisonniers politiques et réhabiliter ceux qui avaient été frappés d'indignité nationale (une dizaine de milliers de personnes, pour la plupart appartenant à la droite), et enfin indemniser les victimes de diverses nationalisations.

Parallèlement, le dirigisme de l'État se relâche et de nouveaux privilèges sont accordés à ce qu'il est convenu d'appeler la nouvelle classe.

La situation sociale est tendue. Selon les chiffres officiels, l'éventail des traitements dans le secteur public s'étale de 1 à 33 ; dans l'industrie, l'indice supérieur atteint le chiffre de 55. Environ 2,5 % des Égyptiens s'approprient 24 % du revenu national ; 10 % de la population absorbent 54 % des produits de consommation courante. La libéralisation politique favorise la revendication sociale.

Dès le début de l'été 1971, des grèves ouvrières, parfois des émeutes, éclatent ici et là. Le 21 août, les travailleurs de la grande aciérie de Hélouan occupent l'usine, défient jusqu'au président du Conseil avant d'être l'objet de sévères mesures disciplinaires et policières.

Développement

Le 20 septembre, le président Sadate réorganise l'État, l'administration et l'économie. L'objectif prioritaire est la recherche de l'efficacité. Des bureaux techniques spécialisés sont créés à la présidence ; la gestion des gouvernorats (sortes de préfectures) est rendue plus autonome, plus décentralisée ; les organismes bancaires sont chargés, chacun, d'un secteur particulier de l'économie.

Bien qu'encore déficiente, l'économie connaît un certain essor. La production, en 1971, a enregistré par rapport à l'année précédente une augmentation de l'ordre de 15 % ; la balance commerciale, pour la deuxième année consécutive en trente ans, est positive ; le déficit de la balance des paiements est moitié moins élevé qu'en 1967-68 ; la production industrielle (pétrolière et minérale en particulier) est en hausse.

Décidé à mettre l'accent sur le développement, surtout après avoir tenté vainement de provoquer un règlement avant le 31 décembre, le président Sadate désigne, le 16 janvier, Aziz Sedki pour succéder à Mahmoud Fawzi à la tête du gouvernement, et lui fixe des objectifs économiques à long terme extrêmement ambitieux.

Le nouveau Premier ministre, diplômé de l'université Harvard, est un technocrate de droite qui avait été écarté du pouvoir par Nasser, précisément pour ses tendances conservatrices. Réputé prooccidental, voire proaméricain, ses adversaires l'accusent de chercher un règlement avec Israël, conforme aux vues de Washington.

Manifestations

Trois jours avant sa nomination, le 13 janvier, un discours du président Sadate avait mis l'université en effervescence. Les explications du chef de l'État concernant son impuissance à reprendre, comme promis, les hostilités avaient été jugées peu convaincantes. La désignation de Aziz Sedki à la tête du gouvernement, qui fait l'effet d'une provocation, suscite dès le lendemain une grève générale à l'université du Caire, des manifestations et des émeutes, les premières depuis 1968. Des comités de lutte clandestins, constitués dans les divers établissements, font distribuer des tracts dans lesquels le chef de l'État est invité à mettre un terme aux ambiguïtés de sa politique, à s'engager résolument dans la voie de la résistance et de la lutte avec tout ce qu'un tel comportement implique comme conséquences à l'intérieur comme à l'extérieur.