ontologie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec to on, « être », et logos, « discours, langage ».


Née dans le champ d'un questionnement sur les genres de l'être, chez Aristote, l'ontologie n'est en définitive que l'étude des propriétés de l'être sans référence aux circonstances dans lesquelles on le rencontre, Ce questionnement inaugural déborde très largement le strict cadre de la métaphysique pour désigner aujourd'hui une pensée vague de ce qui est. Interroger une chose, pour savoir si elle est ou non, voilà une ambition dégradée par rapport au projet aristotélicien d'interroger l'être sans le réduire à n'être qu'une simple propriété (posée ou niée) des objets de la connaissance et de la perception.

Philosophie Générale

Science de l'être en tant qu'être.

La notion d'ontologie recouvre une difficulté particulière, car l'apparition de cette science n'est pas contemporaine du terme qui l'a ensuite désignée. Le mot « ontologie » n'apparaît en effet qu'au début du xviie s. dans l'article « abstractio » du Lexicon philosophicum de Rudolf Göckel (en 1613 exactement), où elle est définie comme la philosophie de l'être ou des transcendantaux, et est repris par Johannes Clauberg, pour désigner la science première (qu'il appelle également ontosophia). L'ontologie est donc du côté de la métaphysique générale, et non de la métaphysique spéciale ; n'ayant pas Dieu pour objet, elle est une science universelle dont fait partie la théologie comme science particulière. Ne se limitant à aucune région déterminée de l'être, elle correspond donc à la science qu'évoquait Aristote en disant : « il y a une science qui étudie l'Être en tant qu'être, et les attributs qui lui appartiennent essentiellement. Elle ne se confond avec aucune des sciences dites particulières, car aucune de ces autres sciences ne considère en général l'Être en tant qu'être, mais, découpant une certaine partie de l'Être, c'est seulement de cette partie qu'elles étudient l'attribut »(1). Cependant, la tradition aristotélicienne a parfois compris cette « ontologie » aristotélicienne comme désignant à la fois la « métaphysique générale », en charge du discours sur l'être, et la « métaphysique spéciale », qui traite de l'âme, du monde et de Dieu. Or, dans ce second cas, il ne s'agit plus d'ontologie mais d'ontothéologie, c'est-à-dire d'une science qui envisage dans le même mouvement la totalité de l'être, et l'Être suprême, divin. Selon Heidegger, l'ontothéologie concernerait l'histoire de la philosophie depuis Aristote(2), ce dernier étudiant dans le même temps l'être en tant qu'être (ontologie) et l'être le plus haut (théologie). Ce repli de l'ensemble de la métaphysique sur une ontothéologie, qui n'aurait pas permis la mise en place d'un questionnement ontologique véritable, est cependant sujet à caution. D'une part, le terme d'ontothéologie se trouve, en un sens différent, chez Kant, désignant une science qui prétend connaître Dieu par son concept, sans passer par l'expérience(3), et qui tombe sous le coup de la critique kantienne de la « preuve ontologique »(4). D'autre part, le sens que lui donne Heidegger n'est pas d'origine aristotélicienne, mais est plutôt issu de la lecture scotiste d'Avicenne : c'est en effet chez Duns Scot « que la métaphysique est présentée comme une science qui a pour objet commun l'étant et pour objet éminent Dieu »(5). Assigner à l'ontothéologie un trajet historique allant de Duns Scot à Kant permet ainsi de nommer « ontologie » la science que présente Aristote au début du livre Γ de sa Métaphysique, et qui se distingue de la philosophie première qui est théologie(6). Cette dernière reste cependant l'horizon vers lequel devrait tendre l'ontologie, car, dans son fond le plus ultime, l'être est un, et ce n'est que la limitation propre à notre signification qui instaure la multiplicité de ses acceptions. Il n'y a pas d'ontothéologie chez Aristote parce que la théologie est impossible pour nous : « La théologie d'Aristote n'est pas une ultra-ontologie, mais c'est au contraire son ontologie qui se constitue dans l'en-deçà d'une théologie qu'elle ne parvient pas à rejoindre. Le problème d'Aristote n'est pas celui du dépassement de l'ontologie, mais de la dégradation de la théologie »(7).

L'ontologie se distingue de la théologie en ce que le discours catégorial n'a pas de prise sur l'être divin, alors que la science de l'être en tant qu'être passe par la mise en relation prédicative des différentes catégories, destinée à pallier l'impossibilité d'une intuition directe de l'être, et par la plus centrale de celles-ci, la « substance » (ousia), « première » (individu) ou « seconde » (genre et espèce)(8). L'ontologie est donc une ousiologie, qui traite de l'être déterminé et non de l'accident (dont aucune science n'est possible), et elle se différencie de la logique (étudiant l'être comme vrai). Elle est également une réflexion sur les limites de la signification et du langage, car « l'être proprement dit se prend en plusieurs sens »(9). De la sorte, l'interrogation ontologique est à la fois une réflexion sur le langage, car notre connaissance ne saurait être indépendante de celui-ci, et une construction historique, car la recherche de la vérité passe nécessairement par différentes ontologies. C'est ainsi que Quine peut affirmer la relativité de l'ontologie(10), non pour tomber dans le relativisme absolu, mais simplement pour montrer qu'elle est une construction scientifique, et qu'elle ne peut donc s'extraire de la relativité des langues entre elles. En traduisant un système ontologique dans une autre langue, nous procédons de ce fait nécessairement à l'élaboration d'une autre ontologie ; cela ne signifie pas que nous créons alors une ontologie différente, mais simplement que la différence énonciative de l'être dans les deux systèmes linguistiques les rend étrangers l'un à l'autre, incomparables.

Reprenant l'affirmation aristotélicienne des différents sens du mot « être », Heidegger montre que la constitution d'une ontologie véritable suppose tout d'abord que les préjugés concernant la question de l'être soient manifestés comme tels. Tout d'abord, le concept d'être n'entre pas dans un genre, et il ne faut pas croire que sa généralité permette de le clarifier, car il est le plus obscur des concepts. Ensuite, l'idée selon laquelle l'être est « indéfinissable » ne doit pas dispenser de le mettre en question, car elle ne signifie qu'une chose : que l'être ne peut être questionné à partir des catégories. Ce second préjugé oriente l'ontologie sur une ousiologie vouée à l'échec. Dernier préjugé, celui qui affirme que l'être « va de soi », ce qui dispenserait de s'interroger sur l'être de l'étant. Dès lors, l'ontologie fondamentale, considérée comme analytique existentiale du Dasein, consiste à dépasser ces préjugés afin de se manifester comme « position » même de la question(11).

Didier Ottaviani

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Métaphysique, Γ, 1, 1003 a 21-25, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1986 (1966), t. 1, pp. 171-174.
  • 2 ↑ Heidegger, M., « Hegel et son concept de l'expérience », in Chemins qui ne mènent nulle part, trad. W. Brokmeier, Gallimard, « TEL », Paris, 1986, p. 236.
  • 3 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, « Idéal de la raison pure », 7e section, trad. A. Renaut, Flammarion, Paris, 2001, p. 553.
  • 4 ↑ Ibid., 3e section, pp. 530-536.
  • 5 ↑ Libera, A. de, La philosophie médiévale, PUF, « Que sais-je ? », Paris, 1989, p. 73. Sur l'ontothéologie, cf. Boulnois, O., « Quand commence l'ontothéologie ? Aristote, Thomas d'Aquin et Duns Scot », in Revue thomiste, XCV-1, Toulouse, 1995.
  • 6 ↑ Aubenque, P., Le problème de l'être chez Aristote, Introduction, chap. 1, PUF, « Quadrige », Paris, 1991.
  • 7 ↑ Ibid., p. 415.
  • 8 ↑ Aristote, Catégories, 5, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1994 (1966).
  • 9 ↑ Aristote, Métaphysique, E, 2, 1026 a 33, op. cit., t. 1, p. 335.
  • 10 ↑ Quine, W. V. O., Relativité de l'ontologie et autres essais, trad. J. Largeault, Aubier-Montaigne, Paris, 1977.
  • 11 ↑ Heidegger, M., Être et temps, trad. F. Vezin, Gallimard, Paris, 1986.

→ catégorie, Dasein, être, existential, logique, métaphysique, monisme, ontique, philosophie, preuve, relation, relativisme, théologie, vérité

Logique

Les logiciens s'entendent pour définir l'existence comme propriété d'un concept ; par contre ils conçoivent différemment l'engagement ontologique.

D'abord, Russell admit que les choses et les personnes étaient les objets de référence des noms propres. Dès 1905, sa théorie des descriptions définies dispensa de tout engagement sur les ficta et impossibilia. Les noms propres grammaticaux furent réduits à des descriptions abrégées. Ne restaient plus que le nom propre logique ceci pour désigner des données sensibles. La question ontologique devenait celle de la réductibilité des symboles : ne sont requis que les objets de référence des symboles irréductibles, c'est-à-dire logiquement indéfinissables(1).

Par la suite, Quine parvint à réduire tous les symboles aux seules variables d'individu et aux lettres de prédicat. Seule la quantification marque ainsi la nécessité d'une référence. Mais il convient de distinguer entre ontologie, comme domaine de référence des variables et engagement ontologique sur certains des objets de référence. Les propositions (1) : « Ex (x est un chien) » et (2) « ¬Ex (x est un chien) » admettent toutes deux pour ontologie un domaine d'individus susceptible de fournir les valeurs de x, que celles-ci satisfassent ou non la fonction. Par contre, seule la proposition (1) impose l'admission en ce domaine des chiens comme valeurs la rendant vraie. D'où, le critère d'engagement ontologique : « Une théorie est engagée à reconnaître les seules entités auxquelles les variables liées de la théorie doivent pouvoir référer de façon à ce que les affirmations faites soient vraies »(2).

Enfin, les logiques libres, récusant l'interprétation objectuelle des variables, prônent une interprétation substitutionnelle qui ne recourent plus qu'à des termes pour valeurs des variables quantifiées. Cette approche prétend se dispenser de tout engagement sur autre chose que de simples marques(3).

Denis Vernant

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Vernant, D., La philosophie mathématique de Russell, Vrin, Paris, 1993.
  • 2 ↑ From a Logical Point of View, Harper and Row, New York, 1963, chap. I, p. 14.
  • 3 ↑ Kripke, S., « Is there a Problem about Substitutional Quantification ? », in Truth and Meaning : Essays on Semantics, Evans et McDowell éd., Clarendon UP, Oxford, 1976.

→ descriptions (théorie des), existence, logique libre, quantification