être

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin esse, équivalent du grec einai.


L'être est, dès les premières analyses de la philosophie, écartelé entre son sens de simple copule, celui de désignation d'une ontologie régionale puis celui d'un concept enveloppant l'être en tant qu'être, sans scories attributives ou prédicatives. Avant cette mise en forme aristotélicienne, l'être monolithique de Parménide empêchait toute fondation d'une connaissance de l'être en mouvement entre ses différentes apparitions dans le monde. À cet arrêt, la théorie platonicienne des Idées ne substitue qu'un pseudo-mouvement, celui de la participation, qui laisse toutefois l'être de la matière à son essentielle nullité – sauf si l'on se souvient qu'il faut une matière-réceptacle (donc ontologiquement mieux déterminée) pour former le monde du Timée. La question de l'être demeurera cependant fixée par l'analyse aristotélicienne qui, dans sa métaphysique, oscillera entre l'ontologie en son sens le plus propre (la science de l'être en tant qu'être) et la théologie (la science de l'être primordial). D'une certaine façon, toute l'histoire de l'ontologie, y compris dans les formes les plus radicales de l'imprécation heideggerienne, revient à instancier l'être dans ce que Heidegger nomme son « étantité » c'est-à-dire dans une sorte d'annexion à des catégories où l'être se dilue et perd l'horizon de son questionnement le plus authentique. La forme la plus abâtardie de l'interrogation sur l'être est sans conteste celle qui appartient aux philosophies de l'existence, qui posent l'être comme la conscience ou comme le sujet, suivant en cela une pratique hégélienne de la phénoménologie. On peut se demander si, face à la clôture aristotélicienne de la question de l'être, la résurgence de l'ontologie dans la philosophie contemporaine ne tient pas dans la phraséologie de l'écoute de l'être une autre forme de son étantité.

Philosophie Générale, Philosophie Antique

En grec, « réalité » se dit on (participe présent neutre du verbe einai, « être »). Dans son emploi philosophique, le verbe être est susceptible de trois emplois : un emploi existentiel, où être signifie exister, un emploi absolu, où être s'oppose à devenir, un emploi copulatif enfin, où être, copule, relie un prédicat à un sujet, comme dans « la rose est belle ».

Dans son sens absolu, l'être implique permanence, incorruptibilité et immuabilité, contre le changement, les modifications, la génération et la corruption propres au devenir. Parménide écrivait : « l'être est, le non-être n'est pas. » L'être est unique, sans cause, sans commencement et sans fin : « fini de partout, ressemblant à la masse d'une sphère bien ronde, du centre déployant une force égale en tous sens. » (fragment 8). Il y a unité de la pensée et de l'être : c'est le même en effet que de penser et d'être (fragment 3).

Platon reprend l'opposition parménidienne entre être et devenir, comme sa distinction entre opinion et pensée. La forme (eidos) est qualifiée, par redoublement adverbial d'être, d'ontôs ousia, ou d'ousia ontôs ousa (Sophiste, 248 a, Phèdre, 247 c-e). Contre l'interdit parménidien, toutefois, Platon, dans le Sophiste, fondant l'attribution et problématisant la prédication, établira l'être du non-être. Le non-être sera l'autre, et justifiera que d'une chose on dise non seulement cela même qu'elle est, mais également une pluralité d'autres dénominations. Une telle reconnaissance d'un certain non-être de l'être fondera aussi, contre les sophistes, avec l'être de l'image et l'existence de la fausseté, la distinction entre vrai et faux. L'image sera caractérisée comme ouk on ouk ontôs (240 c). Dans le mélange des genres qui permet l'attribution, c'est-à-dire l'un et multiple dans le langage comme dans l'intelligible, il y a cinq genres principaux. L'être ne figure donc pas seul, mais aux côtés du même, de l'autre, du mouvement et du repos : « l'être, à son tour, participant de l'autre, sera donc autre que le reste des genres » (Sophiste, 259 b). Ainsi, « le Sophiste n'est pas le traité d'ontologie que l'on voulut dire, précisément parce qu'il ne traite pas de l'être. Bien plutôt, il s'adosse à une réalité solidaire de ses déterminations premières et de ses cohérences – repos et mouvement, même et autre. » (C. Imbert).

La philosophie d'Aristote engage une réflexion sur les multiples acceptions d'être : « L'être se prend en de multiples sens [...] : en un sens, il signifie ce qu'est la chose, la substance, et, en un autre sens, il signifie une qualité, ou une quantité, ou l'un des autres prédicats de cette sorte » (Métaphysique, Z, 1). Les différentes acceptions d'être rencontrent ici l'intérêt du concept de catégorie : l'être se dit en plusieurs acceptions selon les catégories. Mais la multiplicité des acceptions d'être ne recoupe pas exactement la multiplicité des catégories, qui se définissent comme les multiples signifiés des dits hors combinaison. Parmi les acceptions d'être, figurent en outre l'être par soi et par accident, l'être comme vrai et comme faux, et l'être selon la puissance et l'acte.

Or Aristote classe les acceptions d'être : « l'être au sens premier est le “ce qu'est la chose”, notion qui n'exprime rien d'autre que la substance. En effet, lorsque nous disons de quelle qualité est telle chose déterminée, nous disons qu'elle est bonne ou mauvaise, mais non qu'elle a trois coudées ou qu'elle est un homme : quand, au contraire, nous exprimons ce qu'elle est, nous ne disons pas qu'elle est blanche ou chaude, ni qu'elle a trois coudées, mais qu'elle est un homme ou un dieu ». Le terme de substance traduit lui-même un substantif, ousia, que peut également traduire « essence », et qui est composé sur la même racine que le verbe être. Toutes les autres choses qu'on dit des êtres ne sont dites telles que « parce qu'elles sont ou des qualités de l'être proprement dit, ou des qualités, ou des affections de cet être, ou quelque autre détermination de ce genre ». Que l'être au sens premier soit « ce qu'est la chose », l'essence, le to ti en einai ou la quiddité, dégage un ordre dans les acceptions d'être et un privilège de la substance, comme être par soi. La question posée par Aristote : Ti to on, « qu'est-ce que l'étant ? » (Métaphysique, Z, 1) se poursuit aussitôt en : Ti hè ousia, « qu'est-ce que la substance ? » qui s'identifie alors au to ti en einai, littéralement « ce que c'était que d'être », que Jacques Brunschwig propose de traduire par : « l'essentiel de l'essence ».

C'est ainsi que les multiples acceptions d'être ne font pourtant de l'être ni un genre, ni un homonyme ; l'être se dit relativement à un terme unique (pros hen) : « nous n'attribuons l'être ni par homonymie, ni par synonymie : il en est comme du terme médical dont les diverses acceptions ont rapport à un seul et même terme, mais ne signifient pas une seule et même chose, et ne sont pourtant pas non plus des homonymes : le terme médical, en effet, ne qualifie pas un patient, une opération, un instrument, ni à titre d'homonyme, ni comme exprimant une seule chose, mais il a seulement rapport à un être unique. » (Métaphysique, Z, 4). Ce terme unique est la substance, ousia, non pas tant le sujet ou substrat des déterminations que le ceci déterminé. De toutes les substances, Dieu est la première, définie comme premier moteur immobile, acte pur qui meut la nature par le désir qu'il lui inspire.

À la suite des mégariques, les stoïciens refusent d'énoncer les jugements à l'aide de la copule. Ils rejettent l'équivalence aristotélicienne entre « l'homme marche » et « l'homme est marchant », et l'inversent : ils substituent à « l'arbre est vert » « l'arbre verdoie », et cette substitution engage une modification considérable de la théorie de la prédication. Dès lors que le verbe signifie le prédicat, qui n'en est pas séparé sous la forme d'un attribut, le prédicat n'est pas un concept, un objet ou une classe d'objets, mais un fait ou un événement. De même, la physique stoïcienne des corps qui n'admet pas seulement des corps, qui sont effectivement des « étants » (onta), mais également des incorporels, qui ne sont pas des êtres sans pour autant n'être rien, ne peut admettre l'être ni comme genre suprême, ni comme terme ultime de l'analyse physique, et lui substitue le « quelque chose » (ti) comme l'unique trait commun entre corps et incorporels.

Lorsque le grammairien grec Apollonius Dyscole, au second siècle après J.-C., parlera des pronoms qui « signifient seulement la substance » (ousia), il définira l'ousia comme « ce que signifie le “Je suis”. »

Frédérique Ildefonse

Notes bibliographiques

  • Aristote, Métaphysique (en particulier, G, 2 ; Z, 1 et 4 ; Q, 10 ; N, 2), tr. J. Tricot, Vrin, Paris, 1986.
  • Aubenque, P., Le problème de l'être chez Aristote, PUF, Paris, 1962.
  • Bréhier, É., La théorie des incorporels dans l'ancien stoïcisme, Vrin, Paris, 1928.
  • Imbert, Cl., Pour une histoire de la logique – Un héritage platonicien, PUF, Paris, 1999.
  • Parménide, Sur la nature ou sur l'étant – La langue de l'être, présenté, traduit et commenté par B. Cassin, Seuil, Paris, 1998.
  • Platon, Sophiste, tr. A. Diès (1925), Les Belles Lettres, Paris, 1994.

→ autre, catégorie, copule, corps, devenir, essence, homonyme, incorporel, réalité, substance, synonyme

Philosophie Contemporaine, Ontologie

Heidegger introduit une distinction essentielle entre l'étant et l'être en tant qu'il n'est rien d'étant.

La question centrale de la pensée de Heidegger est la question de l'être, reposant sur une distinction entre le plan ontique de l'étant et le plan ontologique de l'être. La métaphysique interroge l'étant en direction de son être, de son étantité, donnant à chaque époque un sens exclusif à l'être (idée, substance, monade, objectivité, esprit, volonté de puissance) et omettant de penser l'être en tant que tel pour le concevoir comme ce qui est le plus étant, à la fois au sens de l'étant le plus commun et de l'étant le plus élevé, conformément à la constitution onto-théologique de la métaphysique. Dans tous les cas, celle-ci finit par rabattre l'être sur un étant transcendant, procédant ainsi d'un oubli de l'être. Cette formule ne doit pas s'entendre comme une omission propre à une telle pensée, mais comme un génitif subjectif : la métaphysique est le lieu en lequel l'être se dispense en s'oubliant. L'oubli est donc un trait essentiel de la manifestation de l'être. Or, en pensant l'être comme étantité de l'étant, la métaphysique omet l'être au profit de l'étant jusqu'au point où, en s'accomplissant dans la nihilisme avec Nietzsche, il n'en est plus rien de l'être et où elle devient oubli de cet oubli en tant qu'il est lui-même un trait de l'être. Aussi convient-il de distinguer la question directrice de la métaphysique, qui est celle de l'étantité de l'étant, de la question fondamentale, qui est la question de l'être en tant que tel que la métaphysique ne pose jamais. L'une caractérise le premier commencement de la pensée, allant des Grecs à Nietzsche et s'achevant dans le déploiement de la technique. L'autre permet de penser un autre commencement où l'être (Seyn) doit être pensé en sa vérité, indépendamment de sa relation à l'étant. S'ouvre alors la perspective d'un événement de co-appartenance de l'être et de l'homme, où l'être n'est plus pensé ni comme une idéalité universelle ni comme une transcendance verticale (Dieu), mais comme le mystère qui se dispense en s'occultant. Loin d'être le plus étant, il est cet autre de l'étant qui peut se donner à penser comme le Rien. Aussi le nihilisme, ultime accomplissement de la métaphysique telle que Nietzsche l'a pensée, peut-il préparer à une telle pensée ?

Jean-Marie Vaysse

Notes bibliographiques

  • Heidegger, M., Être et temps (1927), Tübingen, 1967, tr. F. Vezin, Gallimard, Paris, 1987.
  • Heidegger, M., Nietzsche II, Pfullingen, 1961, tr. P. Klossowski, Gallimard, Paris, 1971.
  • Heidegger, M., Beiträge zur Philosophie (Contributions à la philosophie), Francfort, 1989.
  • Heidegger, M., Besinnung (Méditation), Francfort, 1997.

→ essence, événement appropriant, existence, fondement, ontologie, vérité