incorporel

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin incorporalis ; gr. Asomaton.

Philosophie Antique

Qui n'a ou qui n'est pas un corps, immatériel.

Seuls des témoignages tardifs permettent d'attribuer aux présocratiques l'emploi du terme « incorporel », et a fortiori la croyance, pour certains d'entre eux, en l'existence de réalités incorporelles. Ce n'est donc qu'avec l'opposition platonicienne du sensible et de l'intelligible et l'attribution d'une réalité véritable au seul intelligible que l'incorporel obtient un droit de cité incontesté en philosophie. Platon utilise le terme dans des dialogues tardifs pour caractériser les êtres intelligibles(1) ; mais il l'emploie déjà dans le Phédon dans l'exposé de la thèse de l'âme-harmonie(2) – l'accord que fait sonner la lyre est incorporel, et par analogie, peut-on penser, l'âme aussi.

À la suite d'Antisthène, qui rejetait l'existence des formes platoniciennes(3), les stoïciens sont revenus à une conception matérielle de la réalité, ne reconnaissant d'être qu'aux corps. Reprenant la définition de l'être dans le Sophiste de Platon, à savoir la capacité d'agir ou de subir(4), Cléanthe faisait remarquer que seul un corps agit ou subit, alors qu'un incorporel n'agit ni ne subit : « Aucun incorporel n'interagit avec un corps, ni un corps avec un incorporel, mais un corps interagit avec un autre corps. »(5) Il suit de là que toute cause est corps, et en particulier que l'âme, puisqu'elle interagit avec le corps, est un corps. À la différence de Platon, donc, l'incorporel n'est plus cause et principe, ni degré supérieur de la réalité, mais indissociablement effet, prédicat et événement : « toute cause est un corps qui devient pour un corps cause de quelque chose d'incorporel. Par exemple, le scalpel est un corps qui devient pour la chair, autre corps, cause du prédicat incorporel “être coupé”. De même, le feu est un corps, qui devient pour le bois, autre corps, cause du prédicat incorporel “être brûlé”. »(6). Il semble que les Stoïciens aient distingué quatre incorporels : le vide, le lieu, le temps et le lekton.

Avec le néoplatonisme, l'incorporel retrouve évidemment la priorité ontologique qui était la sienne dans le platonisme : la matière n'est, pour Plotin, qu'un miroir où vient se refléter l'intelligible, donnant par là naissance au monde sensible. Quant à l'Un, source de tout être, il est au-delà même de l'intelligible.

Frédérique Ildefonse

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, Sophiste, 246b ; cf. Politique, 286a.
  • 2 ↑ Platon, Phédon, 85e ; cf. Philèbe, 64b.
  • 3 ↑ Cf. le mot rapporté par Simplicius (Commentaire des Catégories d'Aristote, p. 208, 28-32 Kalbfleisch) : « Platon, dit-il, le cheval, je le vois, mais la chevalité, je ne la vois pas ».
  • 4 ↑ Platon, Sophiste, 247d-e.
  • 5 ↑ A.A. Long & D.N. Sedley, Les Philosophes hellénistiques, Paris, 2001, 45c (t. II, p. 248).
  • 6 ↑ Ibid., 55b (t. II, p. 378).

→ cause, corps, lekton, lieu, vide