Pour Jean-Pierre Chevènement, miraculé d'un accident anesthésique qui le plongeait en septembre 1998 dans un long coma, son retour, début janvier, au ministère de l'Intérieur est loin d'être une promenade de santé. Aussitôt sollicité par le débat sur la sécurité, il mène ce retour à grand pas, avec une combativité retrouvée qui le place très vite en première ligne, l'exposant aux critiques les plus vives au sein même d'un gouvernement au bord de la fracture. L'opposition, et une actualité riche en faits divers violents, ne l'avait pas attendu pour soumettre la question lancinante de l'insécurité au gouvernement. Battant la charge sur le problème de la délinquance des mineurs dans ses vœux du 31 décembre, le chef de l'État contraignait le gouvernement à afficher ses positions et à annoncer des mesures concrètes dans ce débat considéré comme l'un des enjeux majeurs de la cohabitation.

Un virage autoritaire ?

Entraîné sur un terrain glissant, le chef du gouvernement se fait fort de rappeler qu'il se sent parfaitement à l'aise face aux problèmes de l'insécurité. Mais les réponses qu'il préconise semblent en appeler davantage à la recette trop connue de la répression qu'à une prévention fondée sur des mesures sociales, en l'occurrence éducatives, en vue de l'insertion professionnelle des jeunes tentés par la violence ou qui y ont succombé.

Le virage autoritaire annoncé est interprété comme un feu vert par le ministre de l'Intérieur ; connu pour la rigidité de ses principes républicains, M. Chevènement s'engouffre dans la brèche, en proposant des mesures plus sévères contre des mineurs délinquants qu'il qualifie une fois encore de « sauvageons » une formule qui fera couler une encre souvent caustique. Cette chasse aux « sauvageons », M. Chevènement voudrait la mener avec les seuls moyens de son ministère, en destinant « certains mineurs de moins de 16 ans auteurs de délits graves » à des « centres de retenue », euphémisme masquant mal la solution carcérale suggérée, assortie de « mesures de suspension ou de mise sous tutelle des prestations familiales ». Élisabeth Guigou monte aussitôt à la charge, revendiquant l'entière compétence du ministère de la Justice sur le dossier de la délinquance juvénile et lui opposant une solution judiciaire fondée sur des « foyers d'accueil d'urgence » ayant vocation à éduquer les mineurs en rupture de société plutôt qu'à les enfermer. Envenimant les relations au sein de la majorité plurielle, les deux ministres croiseront le fer jusqu'à l'arbitrage de M. Jospin, qui replace le débat dans un cadre plus éducatif. Ce plan prévoit la création de « centres de placement immédiat », alternative à la prison pour les mineurs multirécidivistes. Cette formule intermédiaire satisfait Mme Guigou, sans vraiment désavouer M. Chevènement, qui doit aussi renoncer à la suspension des allocations familiales aux parents des jeunes délinquants. Mais ces passes d'armes auront durablement écorné l'image du ministre de l'Intérieur, confirmant son isolement au sein d'une gauche dont il passe désormais pour incarner la famille la plus intégriste. S'il était mal à l'aise dans ses habits de ministre de la Défense, qu'il quitta en pleine guerre du Golfe, il n'entend pourtant pas renoncer à ceux du ministre de l'Intérieur. Mais ne serait-ce pas la gauche tout entière qui ne parvient pas à s'habituer à l'uniforme de policier que Mme Voynet, par boutade, se proposait d'endosser en juin ?

G. U.

Le plan Jospin sur la délinquance des mineurs

Dans la lutte contre la violence des jeunes, M. Jospin confirme la tutelle de la justice. Grande nouveauté de son plan, la création d'ici à 2001, de 50 « centres de placement immédiat », structure soumise à un strict contrôle éducatif et non pénitentiaire. Ces centres s'ajoutent aux Dispositifs éducatifs renforcés (DER), dont le nombre s'élèvera à 100 avant l'an 2000, aux 1 000 éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) devant, en trois ans, encadrer les jeunes plus sévèrement que dans les foyers classiques. D'ici 2001, 7 000 policiers et gendarmes seront redéployés dans 26 départements sensibles, 50 juges pour enfants recrutés, et 10 000 aides-éducateurs renforceront en 1999 la lutte contre la violence en milieu scolaire.

Un répit pour Claude Allègre ?

L'année scolaire avait plutôt mal commencé pour Claude Allègre, avec la mobilisation nationale des lycéens. À peine les passions lycéennes calmées, le ministre devait affronter les enseignants en mars ; mais le choc aura été cette fois moins rude pour M. Allègre, qui bénéficie, il est vrai, d'un climat politique plus apaisé.