Ce n'est que cette année, l'intermède français de la Lune dans le caniveau étant oublié, qu'on se rend compte que la comédienne terminait là ses années d'apprentissage et que ces films lui ont permis d'accumuler une somme d'expériences comparable à celle qui faisait la force des stars façonnées par la dure école des studios hollywoodiens, lorsque celles-ci étaient liées par des contrats de sept ans et qu'on les contraignait de passer, bon gré mal gré, d'un genre à l'autre. Nous avons vu encore deux de ces films « d'apprentissage », le remake d'Unfaithfully Yours par Howard Zieff (Faut pas en faire un drame) et Hotel New Hampshire de Tony Richardson. Mais la confirmation éclatante de la gloire de Nastassja tient évidemment à son apparition lumineuse dans Paris, Texas et à l'interprétation bouleversante qu'elle donne de l'épouse délaissée de Maria's Lovers, le film américain de Konchalowski. Dans ce dernier film, nous sommes peut-être encore hantés par le souvenir d'Ingrid Bergman, celui d'Intermezzo, le premier rôle hollywoodien de la vedette suédoise, mais nous n'avons plus l'impression d'un tour de magie référentielle. Nous avons simplement le sentiment de retrouver ce que le cinéma a perdu, le rayonnement d'un visage capable d'exercer un formidable pouvoir d'émotion sur le monde entier, la conviction d'assister à la venue au monde de nos fantasmes d'un être à la fois impalpable et charnel, inaccessible et proche qui ne nous quittera plus quoi qu'il arrive. Il était de bon ton, autrefois, que les critiques adressent des déclarations d'amour aux stars de leurs pensées, c'est un usage qu'on voudrait remettre en vigueur pour Nastassja.

Italie : crise de créativité

L'extrême gravité de la crise subie par le cinéma italien n'étant plus un secret (162 millions de spectateurs en 1983 contre 525 millions en 1970, 110 longs métrages produits contre 231), les organisateurs du festival de Venise ont décidé de braver l'infortune et de démentir les bulletins de santé les plus alarmants en faisant de cette manifestation renaissante une sorte de vitrine italienne. Onze films dus à des réalisateurs italiens dans la sélection officielle (dont un, il est vrai, produit aux États-Unis et un autre en France), une quinzaine d'autres retenus par les diverses sélections parallèles ont été montrés dans le but évident d'affirmer que le mourant faisait encore preuve d'une belle vitalité. Dire que les observateurs étrangers ont été convaincus serait exagéré, ils ont souvent eu l'impression qu'on leur montrait des produits que rien ne désignait aux honneurs d'un festival international et qu'on avait rempli la vitrine avec ce qu'on avait pu trouver. Cela dit, les deux films de la sélection officielle produits à l'étranger (Carmen de Francesco Rosi et Il était une fois en Amérique de Sergio Leone) comptent parmi ce que le cinéma mondial nous a donné de plus prestigieux cette année.

Réussite aussi pour Comencini et pour les frères Taviani avec Cuore et Kaos. Cuore est une très belle série télévisuelle adaptée du roman d'Edmondo de Amicis (l'œuvre la plus célèbre de la littérature enfantine italienne après Pinocchio), que la télévision française devrait diffuser dans le courant de 1985. Kaos, également produit par la RAI, adapte quatre des Nouvelles pour une année de Pirandello avec une superbe maîtrise et fera l'objet, chez nous d'une exploitation en salles.

Aucune révélation

Les laboratoires du jeune cinéma semblent encore paralysés par la manie ratiocinante et théoricienne héritée de 1968. La relève n'est toujours pas assurée. Et si le pessimisme nous pousse à croire que Fellini nous a donné son chant du cygne avec E la nave va (il est clair qu'il lui sera de plus en plus difficile de monter des opéras aussi dispendieux), si l'on est de l'avis que Ferreri se répète dangereusement avec Le futur est femme et si l'on considère que la comédie transalpine a rendu ses derniers soupirs avec le Bon Roi Dagobert de Dino Risi et Mes chers amis No 2 de Monicelli, on parvient à une conclusion pour le moins morose. Le cinéma italien semble subir une crise de créativité aussi grave que sa crise économique et ce n'est pas le gentil Pupi Avati, inconnu en France mais prophète en son pays, qui pourra nous rendre foi en son avenir. Venise a applaudi sa charmante évocation des escapades champêtres du jeune Mozart (Noï tre), mais il n'est pas sûr que cette sonatine un peu trop menue soit de taille à franchir les Alpes.

Allemagne : le festival de Berlin

En Allemagne, la baisse de la production et celle de la fréquentation, également très sensible, sont cependant moins spectaculaires qu'en Italie, la cinématographie allemande n'ayant jamais réellement retrouvé depuis la fin de la guerre l'importance qu'elle avait eue jusque sous le IIIe Reich. De 160 millions de spectateurs annuels en 1970, la fréquentation est tombée en 1983 à 125 millions, et la production de 113 films à 77. En regard de cette nette diminution, la France enregistre des résultats on ne peut plus satisfaisants, puisque ses spectateurs annuels passent de 180 millions en 1970 à 197 millions en 1983 et ses films de 138 à 131, confirmant ainsi la situation privilégiée de notre production au sein de la débâcle européenne. La situation du cinéma allemand paraît d'autant plus préoccupante que ses quelques cinéastes dont la réputation a passé les frontières sont aujourd'hui disparus (Fassbinder) ou résolus à travailler à l'étranger (Wim Wenders, Schlöndorff).