L'événement c'est Pierre Michel Menger qui le crée avec un véritable pavé dans la mare. Le Paradoxe du musicien (Flammarion) s'attaque au problème fondamental de la musique : la relation entre le compositeur et son public. Et, dans le domaine de la création contemporaine, on sait que la crise est aiguë.

Claude Glayman

Opéra

La fascination

Depuis le début des années 70, l'opéra connaît un regain de faveur. Un phénomène de mode, a-t-on d'abord pensé, et qui ne durera pas. Il a bien fallu se rendre à l'évidence : l'engouement persiste et, dans le monde entier, les théâtres lyriques sont de plus en plus fréquentés par une jeune génération de spectateurs. Définir ce nouveau public pose un problème tant les motivations sont différentes : un public de passionnés de la voix, d'abord, fasciné à tort ou à raison par les nouvelles idoles qui sont proposées à son culte ; un autre, attiré par les mises en scène (là encore, un phénomène relativement récent : rappelons-nous le scandale déclenché, en 1975, par le Faust signé Jorge Lavelli dans un palais Garnier à peine sorti de la domination de « régisseurs » qui se contentaient de régler entrées et sorties, une querelle dont aujourd'hui encore on perçoit des échos). Et la vogue du film d'opéra montre à quel point cet enthousiasme est réel.

L'année lyrique 1984 a été d'une grande richesse, en France comme à l'étranger, et ce malgré une crise économique générale qui n'a pas manqué d'imposer ses contraintes à des spectacles dont le prix de revient, excessif, ne cesse d'augmenter.

En vedette cette année, on retrouve Carmen aux arènes de Vérone, aux Chorégies d'Orange, à Cologne, dans une excellente production de Jean-Pierre Ponnelle. Mais, la vogue du film d'opéra continuant de plus belle, Carmen, c'est avant tout l'héroïne du film de Francesco Rosi. Toute la France a pour Julia Migenes Johnson (actrice stupéfiante mais, avouons-le, piètre chanteuse) les yeux de Placido Domingo. Les chiffres sont éloquents : au 31 août, plus de deux millions de spectateurs, 95 000 coffrets de la bande originale vendus, et ce pour la France seulement.

En avril, Aida inaugure les spectacles lyriques du nouveau palais omnisports de Bercy, dans une réalisation solide et de bon goût de Vittorio Rossi, qui fera en juillet les beaux soirs des arènes de Nîmes sous la direction musicale du même maître d'œuvre, Michel Plasson. À Vienne et à Londres, en revanche, malgré le Radamès de Luciano Pavarotti, les foudres des spectateurs n'épargnent pas le chef d'orchestre Lorin Maazel d'une part, de l'autre le metteur en scène Jean-Pierre Ponnelle et la pitoyable Aida de Katia Ricciarelli. Mais les trompettes font toujours recette, comme le prouve la récente reprise du film tourné au début des années 50 avec, dans le rôle-titre, Sofia Loren... doublée, pour le chant, par Renata Tebaldi.

Hans Werner Henze n'est pas seulement l'auteur de la musique du dernier film d'Alain Resnais, l'Amour à mort. La salle Favart a présenté en création française son dernier opéra, la Chatte anglaise. Une distribution en majeure partie française et très satisfaisante et un spectacle de qualité n'ont pas empêché l'auditoire de déserter le théâtre avant la fin et de regretter les mêmes amours contées par le groupe TSE. En revanche, Nancy a fait, au mois d'avril, un accueil chaleureux à Boulevard Solitude. Clin d'œil rétro aux années 50, décors de Pizzi, costumes de Marc Bohan, mise en scène d'Antoine Bourseiller : le comble du bon chic bon genre. Événement mondain ou véritable rencontre avec une partition qui ne subit pas les outrages du temps ? Réponse, peut-être, à l'occasion de la reprise, en 85 au TMP.

Pier Luigi Pizzi a été distingué par le syndicat de la critique dramatique et musicale. La reprise de la Khovanstchina au TMP dans la production présentée à Genève en 1882, les décors de Boulevard Solitude à Nancy et, au Mai musical florentin, un insolite Orfeo de Monteverdi, revu et corrigé avec la complicité de Luciano Berio et Luca Ronconi, montrent son éclectisme, de même qu'une vision superbe et contestable d'Alceste de Gluck à Genève. Mais Norma, toujours sur la première scène suisse, et auparavant les Capulets et les Montaigus à Covent Garden sous la direction de Riccardo Muti, la reprise de Lucia di Lammermoor à la Scala et le Comte Ory au festival de Pesaro ont confirmé que l'univers romantique s'accorde au mieux avec le goût inimitable de l'un de nos meilleurs scénographes.