Alain Dister

Sculpture

Le cri de Camille Claudel

La sculpture qui n'en finit pas d'inventer semble décidément prise d'un délire contagieux. Quelque chose change dans l'univers des formes. La limite entre objet utilitaire et œuvre d'art s'amenuise. La sculpture joue sur l'éphémère pour le plaisir. Les groupes Memphis et Totem ont largement investi les musées en 1984, imposant leurs meubles naïfs et baroques au titre d'œuvre d'art, du moins d'exemples de création artistique. Ernest Pignon-Ernest crée des sculptures végétales à formes humaines faites d'algues vivantes et de mousse de polyuréthanne qui meurent si l'eau vient à leur manquer. Quant aux artistes fous d'électricité, ils inventent des sculptures de néon ou des sculptures d'eau, des sculptures parlantes...

La vraie sculpture, elle, porte souvent le signe d'une mémoire archaïque : référence au totem, dans le travail de l'Américaine Gloria Kisch, traces végétales, dans celui de l'Italien Giuseppe Penone. Anne et Patrick Poirier poursuivent l'invention de leur propre archéologie en puisant dans la mémoire des grands mythes gréco-latins. Des expositions consacrées à Germaine Richier, à Étienne Martin, à Takis ont confirmé les valeurs sûres de la sculpture actuelle.

Mais la vraie découverte de l'année ce sera, à Paris d'abord, à Poitiers ensuite, Camille Claudel, la sœur de Paul, l'élève et la maîtresse de Rodin, abandonnée par l'artiste, rejetée par sa famille et dont toute l'œuvre porte la marque d'une passion, d'une imploration, d'une immolation, d'un cri modulé au plus fin entre la joie et la douleur.

Jeanine Baron

Peinture

La percée du moderne

En dépit de l'absence évidente de grandes révélations, 1984 confirme la tendance qui se manifeste depuis environ deux ans : la vie artistique en France ne connaît plus de répit. Et Paris n'est plus le pôle d'attraction rêvé pour la création. De plus en plus d'artistes choisissent de vivre et de travailler en province. Et, dans toutes les régions, les musées, les centres d'action culturelle, les FRAC (Fonds régionaux d'art contemporain) et quelques galeries adoptent peu à peu le rythme des institutions et des galeries parisiennes. Dans bien des cas, à Lyon, à Bordeaux, à Nice, la province manifeste un dynamisme plus vif que Paris et une audace plus neuve.

Jamais l'art contemporain n'avait à ce point sollicité l'attention. Le public n'a pas pour autant totalement rejeté ses pudeurs et ses peurs. Pourtant, l'une des caractéristiques majeures de l'année est bien cette percée très nette de l'art contemporain.

Le foisonnement s'organise et se généralise. La rentrée est éloquente : Toulouse présente des « chefs-d'œuvre » prêtés par le musée national d'Art moderne. Strasbourg accueille l'art espagnol contemporain, qui poursuit depuis plusieurs mois une tournée à travers la France. À Vézelay, Jean Hélion a été l'hôte de l'été, à Bordeaux, Kirchner, entre autres, à Dunkerque, Klasen, à Metz, Simon Hantaï,...

À Clermont-Ferrand se tient la première biennale internationale du dessin, éclatée dans plus de trente lieux à travers la ville. Lyon s'enorgueillit d'un festival, Octobre des arts, destiné à devenir « le moteur artistique de la région ». La municipalité n'a pas ménagé les moyens. Un conservateur a même été spécialement affecté à l'art contemporain. La ville prend en outre des dispositions pour la création d'un musée d'art moderne.

Un musée d'art moderne s'ouvre en février à Villeneuve-d'Asq. Construit pour accueillir la donation Masurel, il possède près de 200 œuvres, pour la plupart de tout premier plan : de magnifiques Picasso, des Braque, Derain, Léger, etc.

À Nice, en avril, la belle Villa Arson se dote d'un Centre national d'art contemporain, spécialisé dans l'étude de l'art des années 1945-1950, ouvert sur l'étranger, notamment sur l'Italie et l'Espagne, équipé d'une école d'art et d'ateliers-laboratoires.

Le Centre d'arts plastiques contemporains de Bordeaux (le CAPC) s'installe en mai jusque sous les combles dans les Entrepôts Lainé, magnifiquement restaurés. Il se donne trois fonctions : constitution d'une collection, éducation, expositions. Nîmes rêve d'un grand musée. Olivier Brice ouvre le sien à Montpellier. Les FRAC se montrent un peu partout.