Alain Louyot

Liban

La main de Damas

Le Liban connaît une évolution spectaculaire, mais il est difficile de prévoir si elle débouchera sur une solution durable du conflit qui ensanglante ce pays depuis 1975.

L'événement majeur de l'année a été l'échec du pari américain. Lors de son accession à la présidence en septembre 1982, le président Aminé Gemayel comptait sur les États-Unis pour assurer le retrait des troupes israéliennes et syriennes du pays, comme ils l'avaient fait pour les Palestiniens quelques semaines plus tôt ; il attendait aussi des contingents occidentaux dépêchés au Liban d'aider l'armée libanaise à se reconstituer et à reprendre le contrôle du pays.

Retour à la case départ

Aucun de ces objectifs n'a été atteint. L'accord israélo-libanais du 17 mai 1983, parrainé par Washington, s'est avéré inapplicable ; l'armée libanaise n'a pu préserver longtemps sa cohésion ; et, plutôt que de s'étendre, la zone contrôlée par le gouvernement du président Gemayel s'est rétrécie, puisqu'il a perdu en février le secteur ouest de Beyrouth ainsi qu'une partie de la montagne surplombant le palais présidentiel de Baabda.

Déjà éprouvés par les attentats meurtriers d'octobre 1983, les contingents occidentaux étaient désormais pratiquement encerclés dans des quartiers où ils apparaissaient comme les alliés d'un pouvoir contesté.

Aussi le président Ronald Reagan décida-t-il le retrait précipité de ses troupes, cherchant ainsi à limiter les dégâts de ce qui fut probablement l'échec le plus grave qu'il ait essuyé en politique étrangère au cours de son mandat.

À quelques jours d'intervalle, le président Gemayel proclamait, à Damas, l'annulation de l'accord israélo-libanais. L'État hébreu a réagi avec résignation à cette décision. Pour lui, l'aventure libanaise avait, depuis des mois déjà, perdu tout attrait : son intervention dans les affaires de son voisin a provoqué une profonde division au sein de l'opinion israélienne, une réprobation mondiale unanime après l'épisode sanglant de Sabra et Chatila, et, plus grave encore, l'émergence, au sud du Liban, d'un mouvement de résistance armée dont l'efficacité militaire et politique est sans précédent dans les territoires contrôlés par Israël.

Celui-ci n'a pu obtenir du Liban ni alliance, ni traité de paix, ni normalisation politique, ni légalisation des échanges commerciaux, et, au sein de la communauté chrétienne, habilement reprise en main par Amine Gemayel, les alliés de l'État hébreu sont en perte de vitesse. Le coût de sa présence au Liban devenant trop lourd par rapport aux résultats escomptes, le gouvernement de Shimon Pérès envisage désormais un retrait rapide de ses troupes, sans attendre une initiative similaire de la part de la Syrie.

Le véritable maître du jeu

Le président Hafez el-Assad ne se voit, en effet, nullement contraint de faire des concessions. Son influence au Liban n'a jamais été si grande, et le ressentiment qu'elle suscite a rarement été aussi circonscrit. Protecteur du pouvoir autant que de ses adversaires, le chef de l'État syrien est apparu, tout au long de 1984, comme le véritable maître du jeu libanais, celui, en tout cas, sans lequel aucun règlement n'est possible. Après avoir grandement contribué à l'échec des solutions israélienne et américaine du conflit libanais, el-Assad s'est attelé à la tâche, bien plus ardue, de faire réussir sa propre solution. Son étonnante réconciliation avec le président Gemayel a favorisé la formation d'un gouvernement d'union, dirigé par Rachid Karamé, qui a pu instaurer un minimum de sécurité dans les rues de la capitale.

Un substitut de paix

Rien ne permet encore d'affirmer qu'il pourra transformer la trêve actuelle en véritable paix. Entre les différentes factions libanaises, les relations demeurent tendues et les incidents fréquents ; à l'habituel clivage entre chrétiens et musulmans se sont ajoutées de nouvelles traditions de violence entre les diverses communautés islamiques ainsi que des risques croissants d'épreuve de force au sein des groupes armés chrétiens. En attendant une réconciliation réelle et une volonté retrouvée de coexistence au sein d'un Liban réunifié, la Syrie apparaît aujourd'hui comme le seul élément de cohésion et de pacification, mais tout changement d'hommes ou de politique à Damas pourrait remettre en cause le fragile échafaudage libanais.