Le président Hafez el-Assad, en jouant délibérément la carte de son alliance avec Moscou, est d'abord parvenu à reconstituer sa puissance militaire et à l'accroître grâce, en particulier, à l'établissement d'un redoutable système de missiles sol-air. Puis il entreprit de reconstituer ses positions d'abord au Liban, ensuite au sein de la Résistance palestinienne. Il y fallut de dures épreuves de force qu'il affronta avec ce pragmatisme et ce sang-froid qui lui valent sa réputation d'homme d'État. Résultats de cette succession de conflits, qui ont dominé l'année 1983 : le retrait du contingent américain du Liban ; le retrait ultérieur, mais dans des conditions plus favorables, du contingent français ; la réunion d'une conférence de réconciliation à Genève, où la Syrie joua un rôle prépondérant ; le revirement du président Gemayel en faveur d'une entente directe avec Damas ; la formation d'un nouveau gouvernement libanais où ceux que la Syrie avait soutenus étaient en force.

Par la suite, le gouvernement syrien poursuivit avec soin sa politique d'équilibre toujours destinée, par des pressions successives et alternées, à éviter l'hégémonie d'une communauté libanaise sur les autres et à tenir entre elles la balance égale. En définitive, la preuve était faite qu'il n'y aurait aucun arrangement dans la région, ni pour le Liban ni pour la question palestinienne, sans que la Syrie y joue le rôle principal. Le gouvernement israélien en venait lui-même à accepter que les forces syriennes demeurent en territoire libanais quand ses propres forces l'auraient évacué. Performance d'autant plus remarquable que le président Hafez el-Assad avait dû se retirer quelque temps de la scène, pour raison de maladie et qu'il en était résulté, en janvier, une sérieuse crise entre les fractions affrontées autour de sa succession. Son retour aux affaires, avec l'affaiblissement des groupes rivaux et le succès évident de sa politique étrangère, s'accompagnait alors du renforcement indiscutable de son autorité à l'intérieur comme à l'extérieur.

C'est par contraste que les autres composantes du camp arabe sont apparues plus affaiblies. La Résistance palestinienne en offrit le plus frappant exemple. Les initiatives prises par la direction de l'OLP en vue d'un règlement politique, dès le lendemain de la guerre de 1982 jusqu'aux dernières semaines de 1984, n'aboutirent en aucun cas. Mais, de surcroît, il en résulta, comme toujours après les crises les plus sérieuses, des dissensions intérieures, aggravées et accrues par le soutien de la Syrie aux adversaires de Yasser Arafat et qui culminèrent avec l'évacuation des Palestiniens de Tripoli. Dès lors, la Résistance palestinienne était en proie à des querelles que l'on s'efforça vainement d'apaiser durant toute l'année écoulée et que n'effacèrent ni la réunion du Conseil national palestinien au mois de novembre, ni le soutien que le roi Hussein de Jordanie apporta à Yasser Arafat, ni sa réconciliation avec l'Égypte.

Déclin des pays pétroliers

Plus lourd encore de conséquences pour l'avenir, l'affaiblissement des États arabes producteurs de pétrole, du fait de la baisse prolongée du prix de pétrole brut. Sans doute les surplus financiers et commerciaux demeurèrent-ils parfois importants pour certains d'entre eux, en particulier grâce à la hausse des intérêts de leurs placements à l'extérieur et à la hausse du dollar. Mais ils étaient souvent plus que compensés par le poids des dettes contractées antérieurement ou le coût des investissements en cours, ou par l'apparition d'un déséquilibre de leurs échanges commerciaux. Aux derniers jours de l'année, les États membres de l'OPEP, et surtout les États arabes, luttaient contre l'évolution du marché qui entraînait irrésistiblement le prix du pétrole à la baisse : l'année 1985 permettra de voir si l'affaiblissement économique et financier qui en résulte pour beaucoup d'États arabes n'entraînera pas aussi le déclin de leur rôle politique.

Encore le marché pétrolier n'est-il pas affecté par l'éventuel accroissement des exportations iraniennes et iraqiennes qui suivrait normalement la fin du conflit entre Bagdad et Téhéran. Au contraire, l'année 1984 a été marquée par une spectaculaire offensive aérienne de l'Iraq contre les navires pétroliers provenant du terminal iranien de Kharg et dont l'objectif déclaré était de priver l'Iran des ressources encore considérables qui lui viennent de ses exportations de brut — tandis que le pétrole iraqien ne peut parvenir au-dehors (depuis la destruction ou la neutralisation des installations de Bassorah) que par l'oléoduc qui traverse la Turquie. En fin de compte, les exportations iraniennes sont demeurées à un niveau relativement élevé, le terminal de Kharg est trop bien défendu pour qu'on ait pu le détruire mais, en sens inverse, l'armée iraqienne, très renforcée par des arrivés massives de matériel soviétique, a toujours fait échec aux offensives terrestres iraniennes. La guerre se poursuit sans qu'aucun élément nouveau ne permette d'en prévoir la fin.

Impasse au Maghreb

À l'autre extrémité de l'arc de crise, le Maroc a cependant tenté de résoudre le problème du Sahara occidental par une double action, militaire et politique. L'édification d'un mur défensif dans les secteurs les plus sensibles des territoires sahariens visait à mettre en échec les incursions périodiques du Front Polisario — et son efficacité ne paraît pas douteuse. La conclusion du traité d'Oujda, avec la Libye, visait en même temps à priver les Sahraouis de leur plus ancien allié, et le coup d'État qui se produisit en Mauritanie au mois de décembre pourrait aussi les priver d'importants soutiens locaux. Mais à cette vaste offensive déclenchée sur tous les plans par le roi du Maroc répondit un indiscutable raidissement algérien. Elle apparut, en effet, à l'Algérie comme une sorte d'encerclement qui l'obligerait à faire face, à la fois, à ses litiges frontaliers avec la Libye, à son affrontement traditionnel avec le Maroc à propos des lignes de démarcation héritées de la colonisation, à l'instabilité de la Mauritanie et aux prolongements du conflit saharien. De sorte que l'Algérie a pu y répondre en augmentant son aide au Front Polisario et en entretenant ainsi la guerre aux dépens du roi du Maroc.

Diplomatie soviétique

C'est sur cet échiquier, à la fois rigide et mouvant, que les deux plus grandes puissances se sont efforcées de jouer. L'Union soviétique n'avait, en début d'année, qu'une seule carte au Proche-Orient : son alliance avec la Syrie. Carte maîtresse comme l'ont prouvé les succès remportés par la politique syrienne : mais c'est Damas qui en a tiré parti, semble-t-il, plus que Moscou. Tout au long de l'année, on put voir que les politiques suivies par les deux pays n'étaient pas identiques : leurs divergences dans l'affaire palestinienne, les Soviétiques s'évertuant à sauver les positions de Yasser Arafat et les Syriens s'efforçant de les réduire et de les miner, en ont été le meilleur exemple.