Une danseuse lyonnaise, Régine Chopinot, faisant confiance à sa nature, lance un nouveau style à la fois agressif et décontracté. Elle est à l'origine de la vague actuelle qui mêle le vêtement, le graphisme, la couture, la télévision, la pub, sur des musiques décapantes de Karl Biscuit ou Hector Zazou. Orfèvres en la matière, les danseurs Larrieu, Decouflé et Brumachon, respectivement primés à Bagnolet en 1982, 1983, 1984, se révèlent très motivés dans leur recherche gestuelle sous des airs farfelus. D'autres travaillent sur la qualité du mouvement (Michel Hallet), les petites choses du quotidien (Odile Duboc), la relecture impertinente des classiques (Andy Degroat). La vidéo est de plus en plus utilisée (S. Buirge, Ch. Trouillas, J.-M. Matos, R. Chopinot...).

Français et étrangers

Cette activité n'a pas freiné pour autant la venue en France de troupes étrangères, même si la hausse du dollar rend les compagnies américaines hors de prix. Pas de révélations ni de nouveautés. On a revu avec plaisir Cunningham, plus inspiré que jamais, P. Taylor, Thrisha Brown, la Japonaise Carlotta Ikeda, star du Buto, Reinhild Hoffman, une des cousines de Pina Bausch, sans oublier le ballet suédois Cullberg avec une version psychanalytique de Giselle signée par Matt Ek, un jeune chorégraphe musclé. Tournée en France également du Ballet de Cuba, avec l'inusable Alcia Alonso. La mauvaise surprise est venue de l'Est, avec un jeune ballet classique de Moscou que le public du Théâtre musical de Paris a pu confondre avec le Bolchoï et qui s'est révélé d'une platitude chorégraphique extrême.

Du côté du ballet traditionnel français, c'est l'Opéra de Paris qui tient la vedette grâce à Noureev. Malgré de petites polémiques internes qui sentent la cabale — il y a toujours eu un côté Clochemerle dans cette maison —, sa présence à la direction du ballet est nettement positive. Mais le bilan de l'année demeure inégal : on peut donner un zéro à Noureev chorégraphe de la Tempête, ballet confus malgré une fort belle mise en scène à la Strehler. Raymonda est un aimable divertissement dans l'esprit de Petipa et Roméo et Juliette, une œuvre nerveuse qui utilise tous les talents de l'Opéra.

Noureev super-star a jeté, on l'espère, ses derniers feux en s'essoufflant dans des rôles de virtuosité qu'il ne peut plus assumer ; mais, quand il sait changer d'emploi, il demeure un danseur fascinant, comme l'a prouvé sa prestation baroque (Bach suite), composée avec la collaboration de Francine Lancelot. Enfin, Noureev directeur de compagnie a stimulé sa troupe ; il a donné aux danseurs de l'Opéra maintes occasions de briller, depuis Patrick Dupond jusqu'à la jeune Sylvie Guillem, l'étoile de demain, sans oublier le groupe moderne du GRCOP.

Préoccupé de répertoire par formation (son Lac des cygnes, cadeau de Noël aux Parisiens), Noureev est largement ouvert sur le contemporain, et l'on ne peut qu'applaudir des choix chorégraphiques où William Forsythe, Martha Graham et Karole Armitage sont venus côtoyer les rétrospectives de Commedia dell'arte d'Ivo Cramer. Et puis il y a eu la reprise au palais des Sports du Songe d'une nuit d'été, franc succès populaire grâce à Patrick Dupond et confirmation du talent de John Neumeier, le seul chorégraphe aujourd'hui, avec Jiry Kilian, à assurer la relève dans la forme néo-classique.

Car, dans ce domaine, la pénurie de créateurs se fait durement sentir : Roland Petit, pris dans la préparation d'une comédie musicale pour Zizi Jeanmaire, n'a pas témoigné d'une grande inspiration cette année (mais il y a eu la reprise du Jeune Homme et la Mort, avec son créateur Jean Babilée). Quant à Maurice Béjart, qui attire toujours le grand public, il reste le spécialiste du théâtre dansé, même s'il ne se renouvelle plus dans ses thèmes. La Messe pour un temps futur, grande œuvre de l'année, marque à cet égard un net décalage entre la vision utopique et passéiste du chorégraphe et la réalité d'aujourd'hui.

Jeunes – la longue marche

La danse contemporaine tire de sa fragilité, de son caractère éphémère la capacité de se renouveler en permanence. Encore faut-il que les groupes puissent montrer leur travail et se faire connaître. Les pouvoirs publics, les programmateurs en ont pris conscience, si bien qu'un certain nombre de mesures pratiques ont été prises cette année par l'État (augmentation des subventions, aide à la création, bourses, implantations en région) et par les diffuseurs (commandes de ballets par les centres d'action culturelle, la Maison de la danse de Lyon, souvent en coproduction avec les festivals d'Avignon, Rouen, Châteauvallon, Carpentras et Aix). Une première biennale consacrée à la danse a été organisée par la ville de Lyon durant tout le mois de juin. Enfin, un Théâtre contemporain de la danse, financé par le ministère de la Culture, a été inauguré à Paris, le 26 septembre 1984. Hébergé par le Théâtre de Paris, constitué en association et dirigé par Christian Tamet, il offre aux jeunes compagnies, dans des conditions intéressantes, une salle de 1 000 places en état de marche, ainsi que la disposition de studios de répétition à la Ménagerie de verre. Cent représentations sont prévues par an. Ce n'est pas encore la Maison de la danse idéale, mais un instrument qui devrait permettre aux chorégraphes de se produire et d'avoir accès au marché parisien.